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dédaigné le sceptre et l’hymen ? Irai-je, cherchant sur l’onde les vaisseaux d’Ilion, attendre à leur suite l’arrêt superbe des Troyens ? En effet, ils paient d’un si noble retour la pitié qui les sauva ! ils gardent si long-temps la mémoire d’un antique bienfait !… N’importe, abaissons ma fierté ; courons… Que dis-je ? les ingrats le souffriront-ils ? et leurs nefs orgueilleuses recevront-elles une reine qu’ils détestent ? Malheureuse ! ne la connais-tu pas encore, cette race parjure de Laomédon ? n’éprouves-tu pas encore assez toute sa perfidie ?…. Mais quand ils le voudraient, quoi ! seule et fugitive, j’ornerais le triomphe de leurs insolens matelots ! Ah ! plutôt, entraînant Carthage et mon peuple avec moi, volons embraser leurs navires… Insensée ! ce peuple qu’avec tant de peine j’arrachai des murs de Sidon, voudra-t-il, pour me suivre, affronter de nouveau les mers, exposer de nouveau ses voiles à la merci des vents ?… Meurs donc, tu l’as mérité ; meurs, et que ce fer termine tes souffrances. C’est toi, ma sœur, c’est toi, qui, vaincue par mes larmes, ouvris à mon désespoir cet abîme de maux ; c’est toi qui me livras au barbare. Que n’ai-je traîné dans le deuil du veuvage mes jours exempts de reproches ! que n’ai-je pu m’armer d’une vertu farouche, préserver ma vie de ces affreux orages !…. et respecter la foi promise aux cendres de Sychée ! »

Telles étaient les plaintes amères qu’exhalait sa douleur. Mais déjà sur sa poupe altière, impatient de chercher l’Ausonie, le héros avait disposé l’appareil du départ, et s’abandonnait dans l’attente