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rendrait aux vaincus. Maintenant c’est la puissante Italie que m’annonce le dieu de Gryna ; c’est aux rivages de l’Italie que les oracles de Patare m’ordonnent de descendre : l’Italie, voilà mon amour, voilà ma patrie. Quand les murs naissans de Carthage et le séjour d’une ville africaine ont su vous captiver, vous que Tyr a vue naître, envierez-vous un asyle aux Troyens dans les champs d’Ausonie ? Ne pouvons-nous, à votre exemple, chercher un empire étranger. Dès que la nuit couvre la terre de ses voiles humides, dès que les astres enflammés se lèvent dans les cieux, l’ombre irritée d’un père vient m’avertir en songe et troubler mon sommeil. Sans cesse un fils m’accuse et me reproche son injure, un fils objet de toute ma tendresse, à qui j’enlève le sceptre de l’Hespérie et les contrées promises à sa fortune. À l’instant même encore (j’en jure et par vous et par moi), l’interprète ailé des dieux, l’envoyé de Jupiter même, m’apporte du haut des airs les volontés du ciel. Oui, j’ai vu Mercure, ô prodige ! pénétrer dans Carthage tout resplendissant de lumière : mes yeux l’ont vu, et mes oreilles ont entendu sa voix. Cessez, Didon, cessez d’aigrir par d’inutiles plaintes et mes regrets et vos tourmens : l’Italie m’appelle, et j’y cours malgré moi. »

Il parlait : d’abord dévorant son courroux, elle roule sur le prince des yeux égarés, et le mesure tout entier dans un sombre silence : enfin sa bouillante fureur éclate et tonne en ces mots : « Non, tu n’es pas le fils d’une déesse ; non, tu n’es