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du sang des victimes. Chaque jour, elle renouvelle ses offrandes ; chaque jour, les regards attachés sur les flancs ouverts des taureaux, elle consulte d’un œil avide leurs entrailles palpitantes. Ô vaine science des augures ! que font les vœux, que font les temples, aux fureurs d’une amante ? Cependant le feu de l’amour circule dans ses veines ; et son cœur nourrit en secret son incurable blessure. Malheureuse ! elle brûle ; et seule, égarée dans Carthage, elle porte au hasard son aveugle délire. Telle la biche légère, si le trait rapide qui la poursuit au loin à travers les bois de la Crète, la perce à l’improviste, et que le fer ailé reste au fond de la plaie à l’insçu du chasseur ; elle fuit, franchissant dans ses bonds les forêts et les détours du Dicté : elle fuit, course inutile ! la flèche mortelle la suit, attachée à son flanc.

Tantôt, dès l’aube matinale, elle promène le héros à travers les murs qu’elle élève, lui montre avec orgueil et les richesses de Tyr et ces remparts tout prêts…, commence un tendre aveu, s’interrompt, et rougit. Tantôt, quand le jour baisse, elle ordonne de nouveaux festins, veut encore entendre, insensée ! le récit des malheurs de Troie, et les écoute encore, suspendue aux lèvres d’Énée. Lorsque enfin la nuit les sépare, que Phébé, pâlissant à son tour, retire sa lumière, et que le déclin des astres invite au sommeil ; seule, elle gémit sous ses portiques silencieux, et foule en soupirant le lit désert qu’il a foulé. Absent, elle croit le voir ; absent, elle croit l’entendre. Quelquefois, séduite par une aimable ressemblance, elle presse Iule dans ses bras : heureuse, si du moins elle