Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nœuds, quand déjà la mort cruelle a trompé mon premier amour ; si je ne détestais le flambeau de l’hymen et la couche nuptiale, c’était l’unique faiblesse peut-être où Didon pouvait succomber. Je le confesse, ô ma sœur ; depuis le trépas du malheureux Sychée ; depuis le jour où la main d’un frère ensanglanta nos Pénates, lui seul a fléchi ma fierté, a fait chanceler ma constance : je reconnais la trace des feux dont j’ai brûlé. Mais que la terre ouvre sous mes pas ses abîmes ; que, de sa foudre, le souverain des dieux me précipite chez les ombres, les pâles ombres de l’Érèbe, noir séjour de la nuit profonde ; si jamais, ô Pudeur, j’ose violer tes lois, ou m’affranchir de tes liens sacrés ! Sychée eut mon premier amour, il aura mes derniers soupirs : que ma flamme le suive, et dorme avec lui dans la tombe ! » Elle dit ; et des torrens de larmes ont inondé son sein.

« Ô vous, lui répondit sa sœur, vous que j’aime plus que la vie ! voulez-vous donc, toujours seule, user dans d’éternels chagrins le printemps de votre âge ? Avez-vous renoncé pour toujours à la douceur d’être mère, aux faveurs de Vénus ? Eh ! qu’importent ces longs ennuis à la cendre des morts, à des mânes inanimés ? Que nul autre époux jusqu’ici n’ait pu vaincre vos douleurs ; que Tyr, que la Libye accusent encore vos dédains ; qu’Iarbe s’en indigne, Iarbe et tous ces rois superbes que l’Afrique nourrit dans l’orgueil des triomphes ; je le veux : mais combattrez-vous aussi un penchant qui vous flatte ? Oubliez-vous dans quelle contrée vous avez fixé votre