Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à tes flots, il se confond avec toi dans les mers de Sicile. Instruit de ces merveilles, nous adorons les divinités de ces rives ; et de là, je côtoie les vallées fertiles qu’engraisse le limoneux Hélore. Bientôt j’ai laissé derrière moi les pics altiers du Pachynum, et ses bancs avancés. Déjà se montrent Camarine, et les marais qui la protègent, et l’immense Géla, cité reine des contrées que le Gélas arrose. Plus loin, sur les montagnes, Agrigente étale à son tour l’orgueil de ses remparts ; Agrigente, jadis féconde en généreux coursiers. Vous aussi, champs de Sélinus où les palmiers abondent, un vent plus frais nous emporte par delà vos ombrages ; et nous effleurons les rocs invisibles que Lilybée cache à fleur d’eau. Enfin Drépane m’ouvre ses ports, Drépane, lieu funeste, lieu d’un deuil éternel ! C’est là qu’après tant de tourmentes, le sort m’enlève, ô coup affreux ! le plus tendre des pères, Anchise, mon consolateur, mon seul bien dans mes peines. Là, cher auteur de mes jours, tu délaisses un fils dans les larmes ; c’est donc en vain que j’arrachai cent fois ta vieillesse à nos communs désastres ! Ni le sage Hélénus, parmi tant d’horribles présages, ni la cruelle Céléno, n’avaient préparé mon âme à cette épreuve douloureuse. Drépane vit tes derniers tourmens, et fut le terme de ton long exil… Je quittais ce triste rivage, ô Reine, quand un dieu plus propice m’a conduit sur vos bords. »

Ainsi le pieux Énée, seul au milieu d’une foule attentive, redisait les desseins des dieux sur lui, et retraçait le cours de ses errantes destinées. Il s’arrête enfin ; ses nobles récits font place aux douceurs du repos.