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troupeau de génisses et de chèvres, paissant à l’abandon parmi les gras pâturages. Nous l’attaquons à l’improviste, et les prémices du butin sont offertes au souverain des dieux ; puis dressant le long du rivage des lits de mousse et de gazon, nous goûtons après la tourmente les douceurs du banquet. Mais tout à coup déployant des hauteurs voisines leur effroyable vol, les Harpies s’élancent, et battent l’air de leurs ailes avec un bruit horrible. Elles fondent sur nos mets, les pillent, ou les salissent de leur contact impur, et mêlent un cri sauvage à leur infecte odeur. On cherche un lieu plus solitaire : sous une roche caverneuse, environnée d’un bois épais et d’un ombrage impénétrable, on dresse de nouvelles tables, on rallume le feu des autels. À l’instant, sortie de nouveau de ses repaires secrets, et retombant sur nous par un chemin opposé, la troupe avide vient encore, les griffes étendues, rôder autour de sa proie, et corrompre de son haleine empoisonnée les apprêts du festin. « Compagnons, saisissez vos armes, m’écriai-je ; exterminons cette infernale engeance ! »

Docile à mes ordres, chacun se dispose en silence, et cache sous l’herbe son glaive et son bouclier. Sitôt que la horde ailée a fait retentir de son bruyant essor les échos d’alentour, Misène, embouchant la trompette, donne, du haut d’une éminence, le signal de la charge. On se précipite ; et dans ces combats étranges, la valeur s’essaie à terrasser de vils oiseaux, rebut des mers. Mais le fer s’émousse contre leur plumage : l’acier les frappe, sans entamer leurs flancs ; et plus rapides que l’éclair, ils s’enfuient