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moi-même d’avoir assouvi ma rage, et satisfait les mânes de mes concitoyens. »

Ainsi s’égarait ma raison, et j’allais suivre un transport insensé, quand soudain se manifeste à mes regards, Vénus, mon auguste mère, plus brillante que mes yeux ne l’avaient jamais vue, et resplendissant dans la nuit sur un char de lumière ; telle enfin qu’elle se montre aux Immortels dans tout l’éclat d’une Déesse. Elle retient mon bras, et sa bouche de rose m’adresse ces paroles :

« Mon fils ! à quel excès t’entraîne une douleur sans bornes ? Pourquoi cet aveugle délire ? As-tu donc oublié nos plus chers intérêts ? Songe plutôt, songe aux dangers où ton absence laisse un père accablé de vieillesse ; songe aux pleurs d’une épouse ; songe au salut d’un fils, ton unique espoir. De toutes parts, hélas ! des hordes cruelles frémissent autour de leur retraite ; et si ma tendresse ne veillait sur eux, déjà le glaive ennemi se fût abreuvé de leur sang, déjà la flamme eût consumé leurs restes. Ce n’est point la fille de Tyndare, ni sa beauté fatale ; ce n’est point Pâris, ni sa folle ardeur ; ce sont les dieux, c’est leur colère qui renverse l’empire de Dardanus, qui précipite Ilion du faîte de sa gloire. Regarde ; je vais dissiper les ténèbres, dont l’épaisseur offusque ta vue mortelle, et couvre ta paupière d’un humide bandeau : toi, garde en ta mémoire les conseils d’une mère, et ne crains pas d’exécuter ses ordres. Vois-tu ces forts en poussière, et ces décombres entassés sur de vastes décombres, et ces noirs tourbillons de poudre et de fumée ? là Neptune