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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

de joie, m’envoyait des baisers ; les patineurs du lac portaient mes couleurs et mes paysans du Nord m’avaient envoyé des peaux d’ours, des bouquets de houx et d’edelweiss.

— Jamais reine ne fut plus aimée, adulée, Christine !

— Il y avait deux ans déjà que j’assistais aux Conseils et donnais mon avis. J’aimais alors le pouvoir, Ebba, et je me passionnais aux affaires du royaume. La paix avec le Danemark venait d’être signée et toutes les Cours d’Europe virent dans ce traité un chef-d’œuvre diplomatique. Il était en grande partie dû aux efforts et aux négociations d’Oxenstiern. Trop souvent il y avait une lutte sourde entre le Chancelier et moi : il avait longtemps exercé le pouvoir souverain et ne pouvait l’oublier. Quant à moi, je n’étais pas d’humeur à céder, même à mon premier ministre… Mais je reconnaissais ses mérites. Et à l’occasion de la paix je le fis comte de Sôdermôre.

— Sans compter les beaux domaines que vous lui offrîtes…

— C’est vrai, tu assistais à cette réception en l’honneur du Chancelier ?

— C’était peu de temps après mon arrivée. J’étais là derrière vous, dans votre ombre. Je vous vois encore, si belle sous votre long manteau d’hermine, debout devant le trône. J’entends votre voix très forte et très douce remercier le Chancelier des services rendus à votre grand-père puis à votre père, le nommer d’un ton solennel le « grand ministre d’un grand roi ». Comme j’admirais tant de dignité dans un âge si tendre ! Comme j’étais fière de vous appartenir, moi, l’humble fille d’un gentilhomme, campagnard, de vieille race, certes, mais si pauvre !

— Et toi, ne sais-tu pas quelle joie tu m’as apportée ?

— Vous avez daigné me le dire souvent, mais je ne puis le croire !

— Je me souviens du matin, au temps des premiers lilas, où tu me fus amenée. On m’avait dit : « Il vous faut une demoiselle de compagnie ». J’avais répondu : « Bon. bon ! » en haussant les épaules. Il serait toujours temps de me débarrasser de la créature, sans doute laide, prude et revêche, qui me serait imposée. Tu es entrée. J’ai cru voir le printemps lui-même avancer sur ses petits pieds légers…

— Il y avait pourtant de jolies filles à la Cour. Vos cousines…