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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

mark, et désapprouvait d’avance un mariage qu’elle considérait comme une mésalliance… Mais je n’avais cure de l’opinion de ma mère. Je n’avais alors pas beaucoup plus de douze ans. Charles-Gustave était mon camarade, mon ami, nous partagions nos jeux ; nous mêlâmes nos larmes en contemplant ma tante, étendue froide et blanche sur son lit de mort. C’est ce jour-là que, me prenant dans ses bras et couvrant mon front de baisers, mon front de petite fille, ombragé de mèches noires, il me dit qu’il m’aimait, qu’il voulait m’épouser plus tard… Pouvais-je ne pas dire comme lui ?

— Les promesses d’une enfant ne sauraient engager !

— Sans doute. Mais, sache-le bien, c’est à lui, à lui seul que j’ai pensé pendant les cinq ans de mon adolescence. Comme j’ai pleuré le jour — c’était en 1639 — où, comme tous les nobles suédois de son âge, il partit pour l’étranger ! Il y demeura deux ans dont je comptais chaque jour. Il parcourut presque toute l’Europe, fit la connaissance de beaucoup de princes et de grands hommes. À son retour, il était plus beau que jamais — un homme par la taille comme par le jugement. Avec quelle passion je l’interrogeais sur tout ce qu’il avait vu, entendu, compris ! Il avait alors l’esprit comme le corps plus alertes qu’aujourd’hui.

— Je le crois volontiers !

— Mais c’est surtout plus tard, lorsqu’il demanda à prendre part à la guerre d’Allemagne que mon cœur fut occupé de lui. Il se distingua dans cette guerre, tu le sais. Peu d’hommes, connaissaient aussi bien que lui les exigences de la vie militaire et les devoirs d’un chef. L’absence me le rendait plus cher. Mais je devais cacher cet attachement. Car sa famille avait beaucoup d’ennemis puissants qui se seraient opposés à nos projets. Le Chancelier lui-même… Je lui écrivais donc des lettres passionnées, mais secrètes, où je lui jurais que je l’aimerais jusqu’à la mort. Et je le croyais alors de toute ma sincérité de quinze ans.

— Pourtant vos sentiments changèrent, fit doucement Ebba. Pourquoi donc ?

— Pourquoi ? dit enfin Christine après un silence. Je ne l’ai jamais dit à quiconque. Déjà je m’étonnais de ne point trouver dans les lettres de Charles les aveux et les protestations d’amour que je ne lui