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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

paysan robuste et droit, chef écouté des hommes de sa province, est le premier conquis. Il s’élance, saisit la petite et voilà Christine assise sur le trône de son père, sous le grand dais de velours écarlate, ces petits souliers à bouffettes pendant dans le vide.

Des cris éclatent, rudes, violents :

— Vive notre petit roi ! Vive Christine !

Christine sourit toujours. Elle se plaît à ces grondements de la foule comme elle se plaisait naguère au fracas de l’artillerie. Elle donne avec gentillesse, avec dignité sa petite main à baiser. Elle ne s’étonne pas de voir des vieillards chamarrés, des officiers en grand uniforme, des sénateurs en fraises tuyautées s’agenouiller devant elle et lui prêter serment :

— Nous jurons d’être fidèles à Votre Majesté, de lui rendre service et obéissance en tout ce qu’elle voudra nous commander ! prononcent-ils.

Christine saisit mal les termes de la formule, mais elle sent fort bien que d’elle et de son caprice dépendent tous ces hommes et leur fortune. Quand elle voit à ses pieds son oncle Jean-Casimir qui, hier encore, la grondait et a voulu le premier lui rendre hommage, elle réalise en vérité ce que c’est que d’être reine.

Sans impatience, avec un sérieux qui ne laisse pas d’être comique sur son minois d’angelot, elle écoute les longs discours qu’elle ne peut comprendre. Elle ne s’endort pas, ne demande ni à manger ni à jouer, ni à sortir.

— Comme elle est sage ! entend-on de toutes parts. Et quelle majesté ! Le regard et le maintien de son père !

Christine fait ainsi son apprentissage de reine. Déjà le germe de l’orgueil est entré dans son cœur. Il grandira, certes, l’entraînera à commettre des folies, voire des crimes, mais il la gardera de toute action mesquine et basse.

— La vanité approche les princes jusque dans leur berceau, dira-t-elle plus tard. Déjà ils sont traités comme de petits lions qui égratignent mais ne dévorent pas encore…