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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

lence contre son cœur. Ses yeux sont pleins de larmes. Puis il la dépose par terre et s’éloigne à grands pas vers le port, sans se retourner. Pour toujours.

Quant à la petite, elle lui tend les bras, elle court après lui avec de gros sanglots, se débat contre les femmes qui veulent la retenir. Pendant trois jours et trois nuits, elle ne cesse de sangloter. On craint pour sa santé, pour ses yeux surtout qu’elle a fragiles. Comment la consoler ?

— Je n’ai pas oublié cette grande douleur qui marqua ma petite enfance, reprit Christine. Et pourtant c’est à peine si je me souviens de la mort de mon père deux ans plus tard. Deux ans c’est long et lourd pour une mémoire d’enfant ! Et comment à cet âge aurai-je compris l’immense malheur qui s’abattait sur ma tête ?

Le bruit d’une grande victoire à Lutzen, contre Wallenstein, l’adversaire de Gustave-Adolphe, avait couru par la Suède. Déjà on avait fait sonner les cloches des villes et des campagnes et chanter le Te Deum. Ce n’est que quelques jours plus tard qu’on connut la terrible rançon de ce succès. La joie s’effondra sous le désespoir. Le roi, comme il l’eût souhaité, était mort en simple soldat, au cours d’une charge de cavalerie. On trouva sur le champ de bataille son corps criblé de cinq blessures.

Il n’en avait d’abord reçu que deux, une à travers le bras, une dans l’épaule ; il s’affaissa. Son page, à genoux auprès de lui, le veillait en appelant au secours.

Deux cavaliers ennemis accoururent :

— Qui est ce blessé ? demandèrent-ils.

L’enfant interdit ne répondit pas.

— Tu ne veux pas parler, chien ? Voilà pour toi !

Et ils l’abattirent. Puis se ruant sur le roi, ils l’achevèrent sauvagement, lâchement, sans même savoir de quel grand homme ils avaient privé le monde. Mais le fidèle page survécut quelques jours et parla…