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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

cousin en l’admettant dans une des plus grandes familles de Suède, et en même temps, je servais l’amour de Marie qu’il était prêt à sacrifier. Du même coup, j’élevais une barrière entre lui et un penchant qui m’humiliait et j’assurais le bonheur — du moins je l’espérais — d’une enfant que, devant le lit de mort de sa mère, j’avais promis de protéger.

— Quel grand cœur est le vôtre, Christine !

— Pas si grand que tu pourrais le croire, Ebba, car, au fond de moi-même, je conservais je ne sais quel inavouable espoir. Cependant la même Mme de Motteville, que je n’avais jamais vue, jugeait l’état de mon âme avec une singulière divination : « Quelques-uns ont voulu dire, écrit-elle encore dans une des pages de ces mémoires qui sont venus entre mes mains, que si la Reine avait suivi son inclination elle aurait gardé le Comte de la Gardie pour elle ; mais qu’elle s’était vaincue par la force de sa raison et la grandeur de son âme qui n’avait pu souffrir ce rabaissement. » C’était là exactement ce que j’éprouvais. Elle ajoutait : « D’autres disaient qu’elle était née libertine et qu’étant capable de se mettre au-dessus de la coutume, elle ne l’aimait guère ou ne l’aimait plus, puisqu’elle le cédait à une autre. »

— Étais-je née libertine ? Il se peut. Mais je le serais à coup sûr devenue si j’avais cédé à l’impérieux penchant des sens qui m’entraînait vers Magnus.

« D’autre part, depuis la scène de la galerie dont j’avais été témoin, il est certain que je l’aimais de moins en moins. Les rapports que l’on me faisait de lui, de ses inépuisables ragots, de la frivolité de ses ajustements, de son art des œillades et des pirouettes, de la prodigalité avec laquelle il semait par milliers les thalers prélevés sur le trésor suédois pour les changer en pierreries, en vêtements surdorés, en bottes parfumées, tout cela ne pouvait me porter à l’estimer. Je m’apercevais que je ne trouverais pas en lui pour le royaume ni un soutien ni même un serviteur fidèle. Et j’en arrivai à son sujet à la même conclusion que Mme de Motteville : « Cet homme parut assez digne de sa fortune, mais plus propre à plaire qu’à gouverner. »

— Pourtant à son retour, vous lui fîtes si bon visage que nul ne jugea cette fortune amoindrie. Bien au contraire.