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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

La surprise et la colère de se sentir, malgré toutes les promesses qu’elle s’était faites, envahie et tyranniquement dominée par l’amour luttait avec l’humiliation de s’être publiquement trahie, d’avoir manifesté, avoué cet amour devant les témoins de la scène qui étaient aussi les témoins de sa vie, de s’être en outre rendue à la fois odieuse et grotesque.

Donc elle aimait. Elle en était sûre maintenant. Ce n’était plus un jeu.

Qu’allait-elle faire ? Épouser Magnus ? Impossible ! l’idée seule en était ridicule. Une souveraine qui a refusé les plus brillantes têtes couronnées d’Europe peut-elle descendre jusqu’à partager son trône avec un de ses sujets ? Et non pas même un grand vassal, un noble appartenant à une ancienne famille suédoise, mais un étranger, dont le grand-père, soldat de fortune, venu par hasard en Suède pour y louer une épée mercenaire, était né, avait grandi dans quelque obscure bourgade de Gascogne ? Devenir la propre belle-sœur de sa suivante ? Que diraient le Conseil, les États, le peuple ? Que dirait l’Europe ?

Alors ? Céder à cette passion qui la dévorait, faire de Magnus son amant, son favori, comme on disait ? Mais n’était-ce pas encore déchoir ? Aux yeux des autres, à ses propres yeux. Risquer de se donner un maître, un tyran ?

« Et moi, pensait-elle, qui jusqu’ici ne songeais à des embrassements sensuels que comme à une anomalie de la nature ! »

Après cette première défaillance, ne serait-elle pas entraînée à d’autres ? Ne tomberait-elle pas de désordre en désordre ? Elle seule connaissait l’ardeur de son tempérament. Jusqu’à présent, son ambition, son orgueil, incapables de se soumettre à un homme, son mépris pour les grossiers plaisirs de la chair s’étaient montrés d’effectifs moyens de défense. Mais si elle succombait une fois à un penchant si despotique, dans quels malheurs se trouverait-elle précipitée ? Une reine se doit de ne pas défaillir.

Christine ne cessait de tourner et de retourner ce problème dans son âme meurtrie quand on gratta faiblement à la porte et la douce voix d’Ebba demanda :