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féodalité armée, combattante, que nous devons une bonne partie des éléments moraux sur lesquels notre société repose, indépendamment des formes politiques ; c’est à son état perpétuel de guerre que nous devons d’avoir appris à résister à l’oppression ; c’est à ses maximes de chevalerie que l’Europe occidentale doit le sentiment du point d’honneur ignoré de l’antiquité ; c’est à son esprit de caste que nous devons la réaction persistante qui a fondé l’égalité moderne ; c’est au spectacle de ses luttes désastreuses que nous devons l’esprit de solidarité qui cimente l’unité française. Il est de mode, dans un certain monde, de crier haro sur la féodalité. C’est, à notre sens, aussi étrange que de s’élever contre les cataclysmes terrestres qui ont fait rouler les débris des montagnes dans les vallées. Nous n’avons des vallées fertiles que parce que des cataclysmes ont bouleversé les sommets. Il ne faisait pas bon vivre alors que des torrents de cailloux et de boue remplissaient les gorges des Alpes ; il était dur de naître attaché à la glèbe en 1100 : mais aujourd’hui que nous cultivons les vallées et que nous profitons des luttes cruelles du moyen âge, il est aussi puéril de crier contre les seigneurs féodaux que contre les torrents diluviens. Il est plus sensé et profitable d’étudier ces grands phénomènes naturels et sociaux.

Les recherches auxquelles nous avons dû nous livrer pour connaître l’armement des hommes de guerre du moyen âge nous ont révélé bien des faits curieux sur les mœurs de cette époque, si rapprochée de nous et si peu connue. Personne n’ignore comment était vêtu et armé un Lacédémonien ou un légionnaire romain ; à peine si l’on sait comment les gens d’armes, les routiers, les gens des communes du xive siècle, étaient équipés en guerre, quels étaient leurs rapports, leur façon de combattre; et cependant les documents abondent, et notre embarras est de choisir parmi ceux qui ont le plus d’intérêt.

On reconnaîtra, par exemple, que du xiie au xvie siècle l’armement des gens de guerre se modifie avec une singulière rapidité, et qu’entre un homme d’armes du temps de Philippe-Auguste et un homme d’armes du temps de Charles VII, il y a une différence beaucoup plus grande qu’entre un chevau-léger du temps de Henri III et un hussard des armées de Napoléon Ier. Ce qu’on pourra reconnaître aussi, c’est que l’esprit profondément logique qui préside aux arts de cette époque du moyen âge, et notamment à l'architecture, qui les résumait tous alors, préside également à l'équipement militaire. C’est qu’alors il ne suffisait pas d’un arrêté ministériel