Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance (1873-1874), tome 5.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après cette journée qui vit périr l’élite de la chevalerie française, des modifications furent apportées dans la manière de s’armer. Le pays était ruiné, le luxe des armes était moins que jamais de saison. Les traditions, déjà fort altérées chez la noblesse guerrière, étaient perdues, le royaume, envahi par l’étranger, était la proie des factions des Armagnacs et des Bourguignons. C’était à la cour du duc de Bourgogne et à celle du roi d’Angleterre que le luxe s’était réfugié.

Les habillements des hommes d’armes français subissaient les influences de ces deux cours. Certaines parties de l’armure étaient empruntées à la mode anglaise, d’autres à la mode de Bourgogne. L’armée du duc était recrutée parmi des populations diverses, dont quelques-unes ne laissaient pas d’avoir plus de rapports avec les habitudes des Allemands qu’avec celles des Français. C’est pourquoi, vers cette époque (1420 à 1430), on trouve dans l’armure française des étrangetés qui semblent interrompre le progrès logique de l’habillement de guerre jusqu’alors. C’est vers 1420 que l’on voit apparaître la lourde bavière allemande, les spallières, cubitières et garde-bras démesurés adoptés par les Anglais ; que l’habillement de tête adopte toutes sortes de formes. Nous n’entrerons pas, à ce propos, dans de trop longs détails, les articles du Dictionnaire devant s’occuper de ces diverses pièces et de leurs modifications.

Le seul exemple que nous donnons ici (fig. 45[1]) suffira pour faire saisir ces influences qui viennent modifier pour un temps, et d’une façon irrégulière, notre armure. Cet homme d’armes est vêtu d’un corselet avec tassettes, le tout recouvert d’une étoffe collée, suivant une habitude qui avait été adoptée en Italie dès la fin du xive siècle. Les épaules sont couvertes d’énormes spallières. Une lourde bavière fixe, suivant la mode allemande, protège le cou et le menton. Une salade sans visière défend le chef. Les garde-bras, épais, sont ouverts à la partie supérieure externe, pour permettre le jeu du bras, ce qui ne se voit guère dans les armures françaises. Le harnais de jambe seul conserve bien son caractère national.

La guerre poursuivie contre les Anglais, possesseurs de la plus grande partie du royaume, obligea de donner aux armures un caractère pratique.

Les gentilshommes qui, dans ces temps calamiteux, tenaient encore pour le roi de France, n’avaient guère le loisir de penser, comme

  1. Manuscr. Biblioth. nation., Boccace, trad. française (1420 environ).