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anglois qui s’appelloit Simekins Dodale, et lui arresta son glaive en la poitrine, et tant le bouta et tira que ledit escuier il mist jus dessus son cheval à terre. Messire Jehan Chandos, qui oy effroy derrière lui, se retourna sur son costé, et vit son escuier gésir à terre, et que on féroit sur lui. Si s’eschaufa en parlant plus que devant, et dist à ses compaignons et à ses gens : « Comment lairrez vous ainsi cest homme tuer ? A pié ! à pié ! » Tantost il sailli à pié ; aussi firent tous les siens, et fu Simekins rescous. Vecy la bataille commenciée.

Messire Jehan Chandos, qui estoit grant chevalier, fort et hardi et confortez en toutes les besoingnes, sa bannière devant lui, environnez des siens et vestu dessus ses armeures d’un grant vestement qui lui batoit jusques à terre, armoié de son armoierie, d’un blanc samit à deux pelz aguisiez de gueules, l’un devant et l’autre derrière, et bien sembloit souffisant homme et entreprenant en cel estat, pié avant autre, le glaive ou poing, s’en vint sur ses ennemis.

Or il faisoit à ce matin un petit reslet[1] ; si estoit la voie moillie, si que, en passant, il s’entorteilla en son parement, qui estoit sur le plus long, tant que un petit il trébucha. Et vecy un cop qui vint sur lui lancié d’un escuier qui s’appeloit Jacques de Saint-Martin, qui estoit fort homme et appert durement, et fu le cop d’un glaive qui le prist en char, et s’arresta dessoubs l’œil entre le nés et le front, et ne vit point messire Jehan Chandos le cop venir sur lui de ce lez là, car il avoit l’œil estaint, et avoit bien cinq ans qu’il l’avoit perdu ès landes de Bordeaux, en chaçant un cerf. Avec tout ce meschief, messire Jehan Chandos ne porta onques point de visière, si que en trébuchant il s’appuia sur le cop qui estoit lancié de bras roide.

Si lui entra le fer là dedens, qui s’en cousi jusques au cervel, et puis retira cil son glaive à lui. Messire Jehan Cliandos, pour la douleur qu’il senti ne se pot tenir en estant, mais chey à terre, et tourna deux tours moult doulereusement, ainsi que cil qui estoit férus à mort : car onques depuis ne parla[2]. » Nous avons donné tout au long ce remarquable passage du chroniqueur, parce qu’il peint de la manière la plus saisissante les habitudes militaires des hommes d’armes de l’époque, et nous fournit sur

  1. « Petite gelée blanche. »
  2. Froissart, livr. I, part. 2, chap. ccxcx (voy. l'Hist. du château et des sires de Saint-Sauveur le Vicomte, par M. Léopold Delisle : ce passage est donné en entier d’après les meilleurs manuscrits de Froissart).