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Fait rare à cette époque, le torse est entièrement renfermé dans un corselet d’acier avec spallières d'étoffe formant bourrelets et manches longues taillées en barbes d’écrevisse, par-dessus l’armure complète des bras. Les jambes sont entièrement armées. Un bacinet appartenant aux mêmes vignettes est à côté du personnage et complète son adoubement. Les manches et la cotte sont rouges, doublées de pourpre. Le col de mailles est juste et passe sous le pourpoint d’étoffe rouge, auquel sont attachées les spallières et les manches.

Otant le corselet d’acier et la surcotte de mailles, cet homme d’armes se trouvait presque en habit civil, sauf les jambes et les bras, qui restaient armes, et la maille, qui paraissait au cou. Il était assez d’usage alors de mêler les vêtements civil et militaire de manière à rester arme, tout en conservant l’apparence du vêtement civil.

Cependant les accessoires amples disparaissent entièrement de l’armure ou s’y adaptent suivant le goût de la noblesse, jusqu’à la fin du xive siècle.

Un récit de Froissart nous donne à ce sujet de précieux détails. Le fameux Jehan Chandos, sénéchal de Poitou, voulait s’emparer de Saint-Savin, dont la garnison française gênait ses opérations. Le dernier jour de l’année 1369 il se mit en route avec les principaux seigneurs du Poitou et environ trois cents lances ; mais l’attaque n’ayant pas réussi, il dut se retirer à Chauvigny et renvoya une bonne partie de son monde. Nous laissons parler Froissart :

« Et messire Jehan Chandos demeura, qui estoit tout mélencolieux de ce qu’il avoit failli à son entencion, et estoit entré en une grande cuisine, et trait au fouier, et là se chaufoit de feu d’estrain que son héraut lui faisoit, et se gengloit[1] à ses gens et ses gens à lui, qui voulentiers l’eussent osté de sa mélencolie.

Une grande espace après ce qu’il fu là venus et qu’il s’ordonnoit pour un pou dormir, et avoit demandé se il estoit près de jour, et vecy entrer un homme tantost après en l’ostel et venir devant lui, qui lui dist : Monseigneur, je vous apporte nouvelles. — Quelles, respondi-il ? — Monseigneur, les François chevauchent. — Et comment le scés-tu ? — Monseigneur, je suis parti de Saint-alvin avec eux. — Et quel chemin tiennent-ils ? — Monseigneur, je ne scay de vérité, fors tant qu’ilz tiennent, ce me semble, le chemin de Poitiers. — Et lesquelz sont-ce des François ? — C’est messire Loys de Saint-Julien et Carlouet le breton et leurs routes. — Ne me

  1. « Plaisantait avec ses sens. »