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puisse être vu de plusieurs points, car les saillants sont difficilement défendables, et plus favorables aux assiégeants qu’aux assiégés… L’intervalle entre les tours doit être calculé en raison de la portée d’un trait, afin que l’assiégeant soit repoussé par les machines de jet manœuvrant sur les deux flancs.

Il faut, au droit des tours, que les courtines soient interrompues par une coupure ayant une largeur égale au diamètre de ces tours. De la sorte les chemins de ronde, étant interrompus, sont seulement complétés intérieurement par des passerelles de charpente qui, n’étant pas fixées avec des attaches de fer, peuvent être jetées bas si l’ennemi s’est emparé d’une portion de courtine, et rendre ainsi l’occupation des autres courtines et des tours impossible.

Les tours doivent être élevées sur plan circulaire ou polygonal, car, étant carrées, les béliers les détruisent plus facilement en ruinant leurs angles. Circulaires, chaque pierre formant coin et reportant la percussion au centre, ces tours résistent mieux à l’effort des machines. Mais rien n’est tel que de terrasser les remparts et les tours pour leur donner une grande puissance de résistance… »

Ces préceptes, sauf les modifications amenées par la portée des engins modernes, sont les mêmes que ceux admis de nos jours. Voir l’ennemi de plusieurs points, éviter, par conséquent, les saillants qui sont difficiles à flanquer ; mettre toujours l’assiégeant entre des feux convergents ; faire qu’un ouvrage pris n’entraîne pas immédiatement l’abandon des autres ; relier au besoin ou séparer les ouvrages, tels sont les immuables principes de la fortification. Ils furent établis, à notre connaissance, par les Grecs et les Romains, pratiqués pendant le moyen âge avec une supériorité marquée, singulièrement développés dans les temps modernes par suite de l’emploi des bouches à feu. En effet, de la tour ronde à court flanquement, et ayant toujours des points morts, au bastion moderne avec ses flancs et ses faces, il y a une longue suite d’essais, de tentatives et de transitions[1].

La tour romaine sur plan circulaire ou carré (car, quoi qu’ait enseigné Vitruve, les Grecs et les Romains ont élevé beaucoup de tours flanquantes carrées), était ouverte ou fermée à la gorge, c’est-à-dire du côté intérieur de la forteresse. Si elle était ouverte, le chemin de ronde des courtines voisines s’interrompait, comme l’indique Vitruve, au droit de cette ouverture. Si elle était fermée, les rondes circulant sur la courtine devaient se faire ouvrir deux portes pour entrer et sortir de la tour, afin de reprendre l’autre courtine. Dans ce cas, la tour formait obstacle à la circulation continue de plain-pied sur le sommet des remparts ; Les premières de ces tours sont, à proprement parler, des tours retranchées, tandis que les secondes sont des postes ou petits forts espacés, commandant les remparts.

  1. Voyez La fortification déduite de son histoire, par le général Tripier. Paris, 1866.