Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 9.djvu/552

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[voûte]
— 549 —

mal tracée en France, à moins de remonter aux plus mauvaises époques de l’école romane, que celle de ce XVIIe siècle, que l’on s’efforce d’imiter aujourd’hui.

Les voûtes françaises et anglaises, parties toutes deux du même point au XIIe siècle, étaient arrivées au XVIe, dans l’un et l’autre pays, à des résultats très-différents et qui donnent la mesure exacte des aptitudes des deux peuples. D’après ce que nous avons vu précédemment, on observera qu’en se perfectionnant conformément à la méthode admise dès le XIIIe siècle, les voûtes anglaises, malgré leur apparence compliquée, arrivent de fait, au contraire, à l’emploi d’un procédé très-simple, en ce qu’une courbe peut suffire à tous les arcs d’une voûte, ou que (si ces arcs doivent atteindre à la clef un même niveau) les courbes différentes dans une partie seulement de leur développement, sont tracées par un procédé très-simple ; que tous ces arcs restent indépendants, et ne sont reliés que par des entretoises d’un seul morceau, qui n’ont qu’un rôle secondaire et ne peuvent en rien influer sur la courbe principale admise pour les arcs ; que les remplissages ne sont plus que des panneaux, aussi faciles à tracer qu’à poser. Dans les voûtes françaises, nous voyons que les constructeurs en viennent à multiplier les arcs ; ils les croisent, de telle façon que la courbure de ces arcs doit être distincte pour chacun d’eux ; que ces courbures sont commandées par des niveaux donnés par le tracé préalable sur plan horizontal ; que ces arcs sont dépendants les uns des autres, et que, par conséquent, ces constructeurs ne sont plus les maîtres, ainsi, de donner à ces courbes les flèches nécessaires en raison de leur fonction, de leur résistance ou de leur action de poussée et de butée ; qu’en un mot, ces constructeurs français du XVIe siècle abandonnent un système judicieux et parfaitement entendu (celui du XIIIe siècle), pour se lancer dans des combinaisons indiquées seulement par la fantaisie. Le réseau de la voûte anglaise de la fin du XVe siècle est solide, méthodique : c’est la conséquence d’une longue expérience fidèle au principe posé. Le réseau de la voûte française au XVIe siècle n’est pas solide, parce que les arcs qui s’entrecroisent par suite d’un caprice de l’artiste, sans l’intervention d’une nécessité et de la raison, ont des actions différentes, les unes molles et faibles, les autres actives et puissantes. Au lieu de rendre la voûte française en arc d’ogive plus solide qu’elle ne l’était, par l’adjonction de tous ces arcs secondaires, les architectes français l’altèrent, lui enlèvent ses qualités d’élasticité, de force et de liberté. Aussi ces voûtes du XVIe siècle sont-elles, la plupart, proches de leur ruine, lorsqu’elles ne sont pas déjà tombées.

Alors, au XVIe siècle, nos architectes cherchent, à l’aide d’un savoir médiocre d’ailleurs, à faire des tours de force, et notre Philibert de l’Orme lui-même, malgré son rare mérite, n’est pas exempt de ce travers. Le pédantisme s’introduit dans l’art, et le vrai savoir, le savoir pratique, fait défaut. On veut oublier et l’on oublie les vieilles méthodes,