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de graves désordres dans l’économie de la voûte. Comme toujours, l’élément pratique, une nécessité d’appareil ou de structure, fournit ici un motif de décoration. Il est nécessaire de nous étendre quelque peu sur le système de voûtes anglo-normand. Cette étude est intéressante, parce qu’elle fait voir comment, en partant d’un même point, d’un même principe, les deux systèmes anglais et français sont arrivés à des résultats très-différents, tout en demeurant rigoureusement fidèles l’un et l’autre à ce principe.

C’est la meilleure réponse que l’on puisse faire à ceux qui considèrent les principes comme une gêne, et qui ne croient pas qu’au contraire, c’est de leurs déductions seulement qu’on peut tirer des formes nouvelles[1].

Dès le XIIIe siècle on reconnaît, dans la structure des voûtes, l’influence du génie anglo-normand ou anglo-saxon, si l’on veut, car nos voisins n’adoptent pas volontiers la qualification d’anglo-normand. Il est donc entendu que nous ne nous brouillerons pas sur un mot.

Nous avons vu qu’en France, ou plutôt dans l’Île-de-France, déjà au milieu du XIIe siècle, les remplissages des voûtes en arcs d’ogive sont fermés au moyen de rangs de moellons piqués, posés perpendiculairement (en projection horizontale) aux formerets, de telle sorte que ces rangs de moellons viennent se joindre parallèlement sur la ligne des clefs, ou ligne faîtière. Pour obtenir ce résultat, nous avons montré (voyez Construction, fig. 55) comment l’appareilleur traçait sur l’extrados de la courbe du formeret et sur l’extrados de la courbe de l’arc ogive un nombre égal de divisions qui formaient les joints des rangs de moellons. Or, comme la courbe de l’arc ogive est toujours plus étendue que ne peut l’être celle du formeret, les divisions sur l’arc ogive, étant en nombre égal à celles faites sur le formeret, sont plus grandes. En Normandie et de l’autre côté de la Manche, jusque vers 1220, on procède exactement de la même manière ; mais en Angleterre, particulièrement, dès le commencement du XIIIe siècle, il se manifeste une indécision dans cette façon de tracer les remplissages des voûtes ; on cherche évidemment un moyen plus pratique, plus expéditif, et surtout qui puisse être défini d’une façon plus nette. En effet, les remplissages des triangles de la voûte française étant concaves, ces rangs de moellons ne peuvent être géométriquement tracés sur l’épure ; ils sont posés par le maçon, qui les taille à mesure, à la demande du cintre-planchette dont nous avons parlé dans l’article Construction et dont nous reparlerons tout à l’heure. Il était nécessaire donc que l’ouvrier chargé de cette besogne fût assez intelligent, eût une dose d’initiative suffisante, pour pouvoir disposer seul, sans le concours du maître appareilleur, ces rangs de moellons concaves à l’intrados et plus épais, par conséquent, au milieu du rang

  1. À l’article Construction, nous avons déjà indiqué les conséquences tirées par les Anglo-Normands de la voûte du XIIe siècle.