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dans leurs ouvrages d’art. Les idées chrétiennes ne permettaient plus la reproduction du nu ; on le recouvrait d’étoffes, mais de manière à faire comprendre qu’on n’oubliait pas entièrement ce qui avait fait la gloire de l’art grec antique. Les artistes verriers, comme les sculpteurs du XIIIe siècle, étudiaient la nature telle qu’elle se présentait à leurs yeux, et n’avaient pas de raisons pour conserver l’hiératisme si cher aux byzantins. Dès le commencement de ce siècle, on reconnaît, dans les peintures sur verre, l’influence de l’étude de la nature par la manière dont sont traitées les draperies, dans la physionomie des têtes, l’expression vraie du geste. Ces modifications apportées dans l’art du verrier par l’école laïque ont une telle valeur, que nous croyons nécessaire d’insister par des exemples. La figure 3 a fait voir un fragment d’un vitrail de la première moitié du XIIe siècle tout empreint du faire grec-byzantin. La figure 5 montre déjà un progrès accompli, une tendance vers l’observation de la nature, dans la manière dont les draperies sont tracées. Or, ce roi de Juda représenté figure 5 ne peut avoir été peint avant 1145, puisqu’il appartient à la partie de la cathédrale de Chartres qui date de 1140. Voici maintenant (fig. 14) un panneau d’un vitrail de la cathédrale de Bourges, replacé dans les verrières du XIIIe siècle, mais qui provient évidemment de l’église bâtie pendant la seconde moitié du XIIe siècle[1]. Le dessin de ce panneau, qui représente les deux apôtres Pierre et Paul, affecte encore de soumettre les plis des draperies aux nus ; cependant il y a, dans les poses, les gestes et le faire des draperies, une tendance à s’affranchir de l’archaïsme gréco-byzantin. Cette tendance vers l’étude de la nature, en abandonnant les traditions grecques, est marquée d’une manière définitive dans les figures d’anges qui accompagnent la représentation de la sainte Vierge du vitrail de la cathédrale de Chartres, dit Notre-Dame de la belle verrière. Ce vitrail nous montre la figure de la Vierge assise, appartenant à l’école du XIIe siècle. Mais ce sujet a été entouré de bordures et d’anges qui datent d’une restauration faite pendant les premières années du XIIIe siècle.

Les tentatives vers le naturalisme sont évidentes dans ces restaurations ou adjonctions. Nous prenons, de cette verrière, un panneau (fig. 15), représentant un des anges qui tiennent des flambeaux aux pieds de la Vierge toute empreinte du style archaïque du XIIe siècle[2]. Les plis du vêtement de cet ange ne sont plus traités suivant la tradition hiératique de l’école byzantine ; il n’y a plus l’affectation à faire apparaître le nu en dépit du mouvement naturel des draperies. L’artiste d’ailleurs s’est efforcé de laisser voir le fond, afin de profiler nettement la silhouette de la figure. Les jambes, les bras, les ailes, se détachent autant que possible.

  1. On sait qu’à la cathédrale de Bourges il existe encore des fragments importants des sculptures appartenant au XIIe siècle (porches nord et sud).
  2. Voyez l’ensemble de cette verrière dans la Monographie de la cathédrale de Chartres, publiée sous la direction de Lassus (dessin de M. Paul Durand).