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branche de l’art. Il y a presque autant de distance entre la peinture dite de tableaux, la peinture opaque, cherchant à produire l’illusion, et la peinture sur verre, qu’il y en a entre cette même peinture opaque et un bas-relief. Le bas-relief serait-il peint, que jamais il ne pourrait rendre l’effet d’une peinture opaque sur un mur ou sur une toile ; ce bas-relief ainsi enluminé ne sera jamais qu’un assemblage de figures sur un seul plan. Dans une peinture opaque, dans un tableau, le rayonnement des couleurs est absolument soumis au peintre qui, par les demi-teintes, les ombres diverses d’intensité et de valeur suivant les plans, peut le diminuer ou l’augmenter à sa volonté. Le rayonnement des couleurs translucides dans les vitraux ne peut être modifié par l’artiste ; tout son talent consiste à en profiter suivant une donnée harmonique sur un seul plan, comme un tapis, mais non suivant un effet de perspective aérienne. Quoi qu’on fasse, une verrière ne représente jamais et ne peut représenter qu’une surface plane, elle n’a même ses qualités réelles qu’à cette condition ; toute tentative faite pour présenter à l’œil plusieurs plans détruit l’harmonie colorante, sans faire illusion au spectateur : tandis qu’une peinture opaque a et doit avoir pour effet de faire pénétrer l’œil dans une série de plans, de présenter une succession de solides. N’y eût-il qu’une figure dans une peinture, et cette figure fût-elle posée sur un fond uni, que le peintre prétend donner à cette figure l’apparence d’un corps ayant une épaisseur. Si le peintre n’atteint pas ce résultat dès ses premiers essais, il n’est pas moins certain que c’est le but vers lequel il tend, aussi bien dans l’antiquité, grecque que dans les temps modernes. Transposer cette propriété de la peinture opaque dans l’art de la peinture translucide est donc une idée fausse. La peinture translucide ne peut se proposer pour but que le dessin appuyant aussi énergiquement que possible une harmonie de couleurs, et le résultat est satisfaisant comme cela. Vouloir introduire les qualités propres à la peinture opaque dans la peinture translucide, c’est perdre les qualités précieuses de la peinture translucide sans compensation possible. Ce n’est point ici une question de routine ou d’affection aveugle pour un art que l’on voudrait maintenir dans son archaïsme, ainsi qu’on le prétend parfois ; c’est une de ces questions absolues, parce que (nous ne saurions trop le répéter) elles sont résolues par des lois physiques auxquelles nous ne pouvons rien changer. Vous ne ferez jamais chanter une guitare comme Rubini, et si quelques personnes prennent plaisir à entendre jouer l’ouverture de Guillaume Tell sur le flageolet, cela ne peut être du goût des amateurs de musique.

Nous croyons que cette discussion est ici à sa place, parce que nous avons entendu maintes fois répéter : « Que si les vitraux des XIIe et XIIIe siècles sont beaux, ce n’est pas une raison pour reproduire éternellement les meilleurs types qu’ils nous ont laissés ; qu’il faut tenir compte des progrès faits dans le domaine des arts ; que ces figures archaïques ne sont plus dans nos goûts, etc. » Certes, il n’est point nécessaire de