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moine Théophile. Ils traçaient sur un carton les linéaments principaux des figures et ornements. Ces linéaments principaux donnaient les plombs ; ou plutôt les plombs n’étaient que le dessin scrupuleux de toutes les parties. En composant son carton, l’artiste pensait à la mise en plomb ; cela ressort clairement de l’examen attentif des verrières du XIIe siècle, puisque les contours sont toujours appuyés par un plomb qui fait ainsi le trait général. Sur ces cartons, les artistes peignaient-ils toutes les ombres, demi-teintes et linéaments intérieurs ? Nous ne le croyons pas, pour deux raisons : la première, c’est qu’il arrive parfois que des pièces de verre n’ont été que découpées, et, par manque de temps ou par oubli, elles n’ont point été achevées de peindre ; la seconde, que parfois aussi un même carton a servi pour deux figures, en pendant par exemple, et que le modelé intérieur diffère dans ces deux figures. Il y a tout lieu d’admettre que le maître traçait les contours sur le carton, avec quelques linéaments intérieurs principaux ; que les ouvriers coupaient les verres sur ce carton en calquant les linéaments principaux comme points de repère, et que les verres assemblés provisoirement sur le châssis, à l’opposé de la lumière du jour, on les peignait d’inspiration, sans recourir à un carton opaque modelé d’avance.

La figure 3[1] fera comprendre cette façon de procéder. En A, nous avons tracé le carton préparé par le maître ; en B, le modelé fait sur les verres mêmes, lorsqu’ils ont été coupés et assemblés provisoirement sur le châssis à contre-jour. On conçoit comment avec un dessin aussi précis, donnant les plombs, il n’était guère nécessaire d’indiquer sur le carton tout le modelé. Les lignes ponctuées sur la figure A donnent les plombs de jonction qui contrarient les contours. Pour éviter de trop grande, pièces de verre, le maître a tracé, sur le manteau, la bande a, qui est d’une autre couleur et que les plombs dessinent franchement.

Il fallait nécessairement que les ouvriers peintres chargés d’apposer la grisaille ou le modelé sur les morceaux de verre découpés d’après le carton, sussent dessiner. Il est vrai de dire qu’alors en Occident, comme dans les écoles byzantines, on avait de véritables procédés pour peindre une tête ou un vêtement[2] ; et ces procédés étaient, à tout prendre, établis sur une longue et profonde observation des effets décoratifs. Il suffisait donc, dès que le maître avait tracé le carton (et alors le style lui appartenait), de trouver des ouvriers habiles de la main et assez imbus des procédés traditionnels pour peindre sur les verres coupés le modelé convenable. Nous ne comprenons pas l’art de la peinture de cette façon aujourd’hui, et il ne faut pas le regretter, s’il s’agit de tableaux faits

  1. D’un vitrail de la cathédrale du Mans, commencement du XIIe siècle, représentant l’Ascension.
  2. Voyez le Manuel d’iconographie chrétienne grecque et latine, avec une Introduction par M. Didron, traduit du manuscrit byzantin par le docteur Paul Durand, Paris, 1845.