Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 9.djvu/365

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[vertu]
— 362 —

statues tiennent des lances, des croix ou des étendards dans leur main droite, sont couronnées et nimbées. La sculpture est d’un beau style ; leur allure est fière, les têtes expressives et les draperies jetées avec art. Remarquons, en passant, que la Liberté et la Promptitude, l’Activité, si l’on aime mieux, sont considérées comme des vertus du premier ordre, des vertus publiques ; et avouons sincèrement qu’au milieu du XIXe siècle, nous ne les placerions pas sur nos églises. Pourrions-nous les sculpter même sur nos édifices civils ? Nous y figurons l’Abondance, la Justice, l’Industrie ; ou bien encore, la Religion, la Charité, la Foi, l’Espérance, et nous leur donnons l’apparence famélique et un peu niaise que l’on considère de notre temps comme l’attribut convenable à ces personnifications. Les œuvres de nos artistes du XIIIe siècle nous paraissent plus vraies, plus vigoureuses et plus saines. Personne n’ignore que la plupart des critiques qui, par hasard, veulent dire un mot des arts du moyen âge, confondant volontiers les écoles et les époques, sans avoir pris la peine d’en examiner les produits, ne fût-ce que pendant un jour, reproduisent ce cliché accepté sans contrôle, savoir : que la sculpture du moyen âge est ascétique, maladive et comprimée sous une théocratie énervante… Nous n’avons nul désir de voir revenir la société vers ces temps, la chose serait-elle possible ; mais nous voudrions que nos artistes montrassent dans leurs œuvres, et dans la pensée qui les dirige, quelque chose de cette virilité si profondément empreinte dans la statuaire française des XIIe et XIIIe siècles. S’il s’agit de sculpture religieuse, on cherche aujourd’hui à satisfaire à nous ne savons quelle pensée pâle, étiolée, malsaine, sans vie, sorte de compromis entre des traditions affadies, mal comprises, et un canon classique ; tandis que nous trouvons, dans cette statuaire de notre architecture du XIIIe siècle, un débordement de sève, un besoin d’émancipation de l’intelligence qui raffermit le cœur et pousse l’esprit en avant. Peu devrait nous importer qu’alors les évêques fussent des seigneurs féodaux, et que les seigneurs féodaux fussent de petits tyrans, si, sous ce régime, les artistes savaient relever le côté moral de l’homme et préparer des générations viriles. Ces artistes étaient dès lors en avant sur les nôtres, qui, trop peu soucieux de leur dignité, subissent la mythologie abâtardie et sénile de l’Académie, ou la religiosité fade des sacristies, sans oser exprimer une pensée qui leur soit propre. Si l’exécution, de nos jours, est belle, tant mieux, mais elle n’est qu’un vêtement qui doit couvrir une idée vivante, non des mannequins sortis d’un Olympe fané ou de l’oratoire des dévotes ; Certes, les statuaires du moyen âge ont fait beaucoup de sculpture religieuse, ou du moins attachée à des édifices religieux, puisqu’on en élevait un grand nombre. Jamais cependant — que cela dépendît d’eux ou des inspirations auxquelles ils obéissaient — ils ne sont descendus à ces mièvreries avilissantes ou à ces platitudes que l’on donne aujourd’hui pour de l’art religieux. Les mâles sculptures de Chartres, de Reims, d’Amiens, de Paris, en sont la preuve. Il suffit de les regarder… sans avoir d’avance son siège fait.