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[unité]
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style[1]. Nous ne concevons pas plus un architecte faisant un plan sans prévoir les élévations que donne ce plan, que nous ne concevrions l’ombre sans la lumière, ou la lumière sans l’ombre. D’ailleurs qu’entend-on par l’unité de plan ? Est-ce que chaque partie de l’édifice projetée sur un plan horizontal possède les dimensions nécessaires, qu’elles soient placées en raison des besoins exprimés, qu’elles satisfassent pleinement à ces besoins en même temps qu’aux nécessités de la stabilité, de l’économie, de la durée, de l’orientation, de l’aspect intérieur et extérieur ? Que chaque partie ne puisse être arbitrairement augmentée, diminuée, changée, sans qu’il en résulte quelque chose de moins bon ? Que les pleins soient en raison de ce qu’ils doivent porter et que le mode de bâtir soit en rapport avec les matériaux à employer et avec les usages locaux ? Si c’est là ce que l’on entend par l’unité de plan, c’est fort bien, à notre avis ; mais nous ne pourrions comprendre la conception d’un plan ainsi dressé sans la conception simultanée des élévations ; car, à prendre les choses à la lettre, le plan n’est que la projection horizontale de ce qu’on appelle l’élévation : or, comment concevoir et tracer la projection horizontale d’une chose qui serait à créer, qui n’existerait pas ? Mais si, par l’unité de plan, on entend une image tracée sur le papier suivant certaines données symétriques, une sorte de dessin de broderie plaisant aux yeux par certaines pondérations de masses, de pleins et de vides, en torturant d’ailleurs les besoins auxquels tout édifice doit satisfaire, afin de rendre cette image plus agréable, alors nous avouons ne rien comprendre à cette unité ; mais nous comprenons que cette unité peut être distincte de l’unité d’élévation, puisqu’elle n’a rien à voir avec les nécessités auxquelles il faut satisfaire, avec le mode de bâtir, avec la nature des matériaux à employer, avec l’économie et le bon sens, qui commande, paraît-il, de ne rien faire en architecture qui n’ait une raison d’être et dont on ne puisse justifier.

Il est un seul moyen de donner à une œuvre d’architecture l’unité : c’est le programme et les forces connues — nous entendons par forces les ressources en hommes, argent et matériaux, — de trouver les combinaisons qui permettent de satisfaire à ce programme, et d’employer ces forces de manière à leur faire produire le résultat le plus complet. Il est évident que si, pour satisfaire à sa fantaisie, l’artiste jette une notable partie des ressources dont il dispose sur un point d’un édifice pour produire un effet, au détriment des autres ; que si son édifice présente des échantillons de tous les moyens de structure et d’ornementation par amour de l’éclectisme ; que s’il ment à la structure que lui fournit son temps pour imiter des formes appartenant à un mode passé ; que si le monument qu’il élève n’a aucun lien avec les mœurs du temps ; s’il choque ces mœurs par des dispositions appartenant à une civilisation différente ou à un autre climat, son œuvre ne peut prétendre à l’unité.

  1. Voyez les articles Goût, Style.