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Il faut rendre cependant à ces établissements la justice qui leur est due, ils avaient commencé (les Clunisiens entre tous) la révolution savante qui allait renouveler l’art de l’architecture. Dans leurs écoles, ainsi que nous le disions tout à l’heure, l’étude de la géométrie était évidemment en honneur dès la première moitié du XIIe siècle. Ils commencèrent, sans en avoir conscience peut-être, la ruine de l’art roman, ou du moins ils ne prétendirent pas établir l’hiératisme. En supposant qu’ils aient reconnu le danger qui menaçait les traditions romanes, ils n’avaient pas, pour le combattre, cet éclectisme irraisonné de nos Académies d’art modernes, puisqu’ils ne connaissaient guère qu’une forme architectonique, celle qu’ils avaient pratiquée. Un moine de génie semble même avoir provoqué cette révolution de l’art de bâtir. Suger fit reconstruire l’église de Saint-Denis en 1137. Elle était terminée, ou peu s’en faut, en 1141. Or, on voit apparaître déjà, dans ce qui nous reste de ce monument, le système de structure dit gothique.

Les voûtes, qui constituent la partie la plus importante de ce système, sont conçues en dehors des données romanes. La figure 1re explique l’ensemble du tracé de la partie conservée du tour du chœur élevé par Suger. Le plein cintre a complètement disparu ; tous les arcs sont tracés en tiers-point, et c’est leur projection horizontale qui commande impérieusement déjà la place et la forme des piliers. En d’autres termes, l’architecte a dû tracer les voûtes d’abord sur son plan, avant d’arrêter la disposition des piliers. Son intention a été, évidemment, de chercher, autant que possible, des branches d’arcs d’une portée égale, puisque, dans toute cette partie occupée par les chapelles et les doubles collatéraux, il était nécessaire que les clefs des voûtes fussent de niveau, ou à très-peu près.

Les piliers A, B, C, D, E, et les archivoltes AB, BC, CD, DE, ont été refaits sous saint Louis, mais les socles des piliers A, B, C, datent de l’époque de Suger. Quant aux voûtes hautes du sanctuaire, elles ont été reconstruites également au XIIIe siècle. Nous ne nous occupons donc que de la partie comprenant les chapelles et le double collatéral qui appartient à la structure de 1137.

On remarquera que les branches d’arcs ogives ab, cd, de, df, etc., sont sensiblement égales. Du moment que l’arc brisé était admis, les petites différences de longueur de ces branches n’empêchaient pas que leurs clefs atteignissent un même niveau. Les clefs des arcs-doubleaux FG, HI (arcs en tiers-point), sont à un niveau plus bas que les clefs b et d ; ce qui devait être, puisque les branches Fg, gG, etc., de ces arcs, sont plus courtes que celles des arcs ogives. Quant aux arcs doubleaux KL, tracés sur plan horizontal circulaire, leurs clefs sont à un niveau intermédiaire entre celui des clefs b d et celui des clefs g h. Les clefs m des formerets ef n’atteignent pas non plus le niveau des clefs d. Il en résulte que les voûtes d’arête LKIfe, LKFO, sont bombées d’une manière sensible[1]. Ces arcs

  1. Voyez Construction, fig. 65, H.