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considérerait comme des détrousseurs de pèlerins, des soudards, pillards sans vergogne.

La guette, ou la tour de guet, est le signe visible du système de police armée établi par la féodalité. La tour de guet du château n’a pas seulement pour objet de prévenir la garnison d’une approche suspecte, mais bien plus d’avertir les gens du bourg ou du village de se défier d’une surprise et de se prémunir contre une attaque possible. Il n’était pas rare de voir une troupe de partisans profiter de l’heure où les gens étaient aux champs pour s’emparer d’une bourgade et la mettre à rançon. À la première alarme, le châtelain et ses hommes avaient bientôt fait de relever le pont et de se mettre à l’abri des insultes ; mais ces garnisons, très-faibles en temps ordinaire, n’eussent pas pu déloger des troupes d’aventuriers et empêcher le pillage du bourg ; il fallait avoir le temps de rassembler les paysans dispersés dans la campagne : c’est à cette fin que les tours de guet étaient élevées. Aux premiers sons du cor, aux premiers tintements du beffroi, les populations rurales se groupaient sous les murs du château et organisaient la défense, appuyées sur la garnison de la forteresse. Les villes possédaient, par le même motif, des tours de guet sur les points qui découvraient la campagne au loin. Ces tours de guet établies le long des remparts devinrent, vers le XIVe siècle, le beffroi de la ville ; outre les guetteurs, elles renfermaient des cloches dont les tintements appelaient les habitants aux points de leurs quartiers désignés d’avance, d’où les quarteniers les dirigeaient d’après les instructions qui leur étaient transmises par les chefs militaires.

Dans les châteaux, les tours de guet ne servaient pas seulement à prévenir les dangers d’une surprise ; les guetteurs, qui veillaient nuit et jour à leur sommet, avertissaient les gens du château de la rentrée du maître, de l’heure des repas, du lever et du coucher du soleil, des feux qui s’allumaient dans la campagne, de l’arrivée des visiteurs, des messagers, des convois. La guette était ainsi la voix du château, son avertisseur ; aussi les fonctions de guetteur n’étaient-elles confiées qu’à des hommes éprouvés et étaient-elles largement rétribuées, car le métier était pénible.

Souvent les tours de guet ne sont que des guettes, c’est-à-dire des tourelles accolées à une tour principale et dépassant en hauteur ses couronnements[1]. Mais aussi existe-t-il de véritables tours de guet, c’est-à-dire uniquement destinées à cet usage.

La cité de Carcassonne en possède une très-élevée d’une époque ancienne (fin du XIe siècle), entièrement conservée. Cette tour dépend du château, domine toute la cité et le cours de l’Aude ; elle est bâtie sur

  1. Voyez l’article Construction, fig. 154 ; voyez aussi l’article Échauguette. Les deux tours extérieures du donjon de Pierrefonds possèdent chacune une guette (voyez la figure précédente).