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clarent l’univers livré au culte des démons, d’êtres méchants et pervers qui inondent l’atmosphère, entrent dans le corps humain, parlent par les oracles, suggèrent les pensées mauvaises et les actions coupables, habitent enfin dans les idoles que le vulgaire prend pour l’image de la Divinité, et se nourrissent du sang des victimes et de la fumée des sacrifices. Tandis qu’ils réservent aux diables, ajoute M. Maury, confondus avec les démons, tous les caractères des démons du néoplatonisme, les chrétiens appliquent aux anges ce que les philosophes avaient rapporté au rôle bienfaisant des démons. Ils en font des génies psychopompes, qui président à la distribution et à la formation des âmes… L’héritage de Platon passa donc aux chrétiens, qui demandèrent à ses idées tout ce qui pouvait éclairer ou compléter leur doctrine ; ils firent de sa démonologie une arme pour renverser le polythéisme dont elle avait déjà ébranlé les bases ; une fois les dieux réduits à n’être plus que de méchants génies, le nom de Jésus suffit pour les conjurer tous et les renvoyer aux enfers. » Il faut ajouter aussi qu’en faisant des dieux ou des émanations divines admises par le polythéisme des démons ou des anges, c’est-à-dire des agents du mal et des protecteurs des hommes ; en considérant la nature organique et même inorganique comme un symbolisme, soit des qualités divines, soit des passions humaines, le christianisme cédait à cette tendance des races blanches pour le polythéisme : c’était, dans la religion nouvelle, l’introduction de l’antique antagonisme des forces de la nature, admis par les Aryas, source de toute poésie et de tout art. Or, ce symbolisme de la lutte entre le bien et le mal est tracé avec une puissance remarquable dans nos édifices religieux du commencement du XIIIe siècle. Chaque sujet a son contraire ; la représentation de la vertu entraîne la représentation du mal. Sous les personnages saints sont figurés les êtres malfaisants qu’ils ont dû dominer par la pureté de leur vie, de leur foi ou par leurs travaux. L’évêque pose toujours la hampe de sa crosse dans la gueule du dragon, qui se tord sous ses pieds. Sous la Vierge est représenté le serpent tentateur, et la chute d’Adam ; sous le Christ, le lion et le dragon. À côté des sujets du Nouveau Testament sont placés les traits tirés de l’Ancien, considérés comme l’annonce symbolique de la venue du Christ et des événements de sa vie. Cette antithèse plastique que l’on rencontre dans la peinture, aussi bien que dans la sculpture, donne la vie et le mouvement à cet art du moyen âge si peu compris aujourd’hui.

Ce n’est pas seulement dans les monuments religieux que se développe le symbolisme. Il y avait dès le XIIIe siècle, les Bestiaires d’amour comme il y avait les Bestiaires divins. Un de ces Bestiaires d’amour nous est resté. Écrit vers le milieu du XIIIe siècle par Richard de Fournival, chancelier de l’église Notre-Dame d’Amiens, il donne à notre zoologie légendaire un symbolisme profane. Ce Bestiaire d’amour se retrouve figuré dans un grand nombre de sculptures appartenant à des habitations,