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Un principe est une foi, et quand un principe s’appuie sur la raison on n’a même pas contre lui les armes dont on peut user contre la foi irraisonnée. Essayez donc de troubler la foi d’un géomètre en la géométrie !

Le phénomène qui produisit notre architecture du moyen âge, si fortement empreinte de style, est d’autant plus remarquable, que, suivant l’ordre des choses, le style s’imprime vigoureusement dans les arts primitifs, pour s’affaiblir successivement à mesure que ces arts perfectionnent l’exécution. Or, il semblerait que notre architecture laïque du XIIe siècle ne peut présenter les caractères d’un art primitif, puisque son point de départ est un art de décadence, l’art roman. Mais c’est là qu’il faut se garder de confondre la forme avec le principe. Si, du roman à ce qu’on appelle l’art gothique, il y a des transitions dans la forme, il n’y en a pas dans le principe de structure.

Inaugurant un principe de structure nouveau, le style en découlait suivant une loi qui ne souffre pas d’exceptions. L’art, en cela, procède comme la nature elle-même, le style chez elle étant le corollaire du principe[1]. Il est tout simple que chez les civilisations primitives, tout ce qui émane de l’homme ait le style : religion, coutumes, mœurs, arts, vêtements, s’imprègnent de cette saveur empruntée aux observations les plus naïves et les plus directes. La mythologie des Védas, celle des Égyptiens, découlant de l’observation des phénomènes naturels, sont pénétrées du style par excellence. Les arts, qui sont une expression de cette mythologie, possèdent le style. Mais, qu’un état de civilisation complexe, mélange de débris antérieurs et confus, puisse faire renaître dans ses expressions d’art le style éteint pendant des siècles, cela est un phénomène peu ordinaire, qui, pour se produire, exige un puissant effort, un grand mouvement des esprits. Il est évident pour nous que ce mouvement ne se fit que dans une classe de la société, qu’il ne fut signalé ni apprécié par les autres classes, et c’est ce qui explique pourquoi, encore aujourd’hui, il reste ignoré du plus grand nombre. L’art dû à l’école laïque fut alors une sorte d’initiation à des vérités qui étaient à peine soupçonnées, un retour vers un état primitif, pour ainsi dire, au milieu du croulement et du désordre de traditions confuses, une semence nouvelle jetée au sein d’une terre encombrée de produits de toutes sortes, mutilés, pourrissant les uns sur les autres. La jeune plante, à peine entrevue d’abord, mais cultivée avec persistance, s’éleva bientôt au-dessus de toutes les autres, eut son allure, son port, ses fleurs et ses fruits. Elle étouffa pour longtemps les tristes débris qui gisaient sous son ombre.

On trouvera peut-être étrange l’opinion que nous émettons ici sur la

  1. Nous faisons assez ressortir ailleurs la nouveauté du principe de structure établi par l’école laïque française du XIIe siècle pour qu’il ne soit pas nécessaire de nous étendre ici sur son essence. D’ailleurs ce principe se résume en un seul mot : équilibre. (Voyez Architecture, Construction.)