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Si donc, par aventure, nous trouvons sur notre chemin des œuvres d’architecture qui remplissent ces conditions d’harmonie entre la forme, les moyens et l’objet, nous disons : « Ces œuvres ont du style », et nous sommes autorisés à parler ainsi. Que serait donc le style, s’il n’était pas comme une émanation sensible de ces qualités ? Résiderait-il, par hasard, dans une certaine forme admise, quel que fût l’objet, ou les moyens, ou le but ? Serait-il l’âme de cette forme, ne la quittant plus ? Comment ! un être organisé, un animal vivant dont vous changez les habitudes, le milieu, perd cette qualité harmonique du style ! L’oiseau de proie que vous enfermez dans une cage n’est plus qu’un être gauche, triste et difforme, bien qu’il porte avec lui son instinct, ses appétits et ses qualités ; et la colonne d’un monument, qui n’est par elle-même qu’une forme brute, vous penseriez qu’en la déplaçant, qu’en la posant n’importe où, en dehors des causes qui ont motivé ses proportions, sa raison d’être, elle conservera son style et le charme qui la faisait admirer là où elle était érigée ? Mais ce charme, ce style, tenaient précisément à la place qu’elle occupait, à ce qui l’entourait, à l’ensemble dont elle était une partie harmonique !

Que l’on reconstruise le Parthénon sur la butte Montmartre, nous le voulons bien…, le Parthénon avec ses proportions, sa silhouette, sa grâce fière, moins l’Acropole, moins le ciel, l’horizon et la mer de l’Attique, moins la population athénienne… ; mais enfin ce sera toujours le Parthénon. Ce sera le lion placé dans un jardin d’acclimatation. Mais arracher au Parthénon son ordre dorique, et plaquer cette dépouille le long d’un mur percé de fenêtres, quel nom donner à cette fantaisie barbare ? que devient alors le style du monument grec ? Et, ce que nous disons pour le Parthénon, ne peut-on le dire également de tous ces emprunts faits à peu près au hasard ? Croit-on que le style d’un édifice s’émiette avec ses membres ? que chacun d’eux conserve une parcelle du style que l’ensemble possédait ? Non : en édifiant des monuments avec des bribes recueillies de tous côtés, en Grèce, en Italie, dans des arts éloignés de notre temps et de notre civilisation, nous n’accumulons que des membres de cadavres ; en arrachant ces membres au corps qui les possédait, nous leur ôtons la vie, et nous ne pouvons en recomposer une œuvre vivante.

Dans l’ordre créé qui nous entoure, et qui est mis, pour ainsi dire, à notre disposition, tout ce que l’homme touche, arrange, modifie, perd le style, à moins que lui-même ne puisse manifester un style en introduisant un ordre sorti de son cerveau au milieu du désordre qu’il a produit. Quand l’homme fait un jardin, de ceux qu’on appelle anglais, il enlève à la nature son allure, son sens toujours logique, pour mettre à sa place sa fantaisie ; le style disparaît. Mais si, en traçant un jardin, l’homme fait intervenir son génie propre, s’il se sert des produits naturels comme de matériaux, et qu’il invente un ordre qui n’existe pas dans la