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style dont elles sont comme pénétrées. Depuis la montagne jusqu’au cristal le plus menu, depuis le lichen jusqu’au chêne de nos forêts, depuis le polype jusqu’à l’homme ; tout, dans la création terrestre, possède le style, c’est-à-dire l’harmonie parfaite entre le résultat et les moyens employés pour l’obtenir.

Voilà l’exemple qui nous est donné, que nous devons suivre, quand, à l’aide de notre intelligence, nous prétendons créer.

Ce que nous appelons imagination n’est qu’un côté de notre esprit. C’en est la partie, pourrait-on dire, qui vit encore quand le corps sommeille, et qui nous fait assister en rêve à des scènes si bizarres, nous déroulant des faits impossibles et sans liaison entre eux. Cette partie de nous-mêmes ne dort point, à son tour, quand nous sommes éveillés, mais elle est réglée par ce que nous appelons la raison. Nous ne sommes donc pas les maîtres de notre imagination, puisque sans cesse elle nous distrait, nous détourne de l’occupation présente, et puisqu’elle semble s’échapper et vaguer à son aise pendant le sommeil ; mais nous sommes les maîtres de notre raison ; la raison nous appartient, nous la nourrissons, nous l’élevons, et, après un exercice constant, nous parvenons à en faire un chef attentif qui règle la machine et donne à ses produits les conditions de vie et de durée.

Donc, tout en reconnaissant qu’une œuvre d’art peut être à l’état embryonnaire dans l’imagination, elle ne saurait se développer et arriver à l’état viable sans l’intervention de la raison. C’est la raison qui munit cet embryon de ses organes nécessaires, qui établit les rapports entre les parties, qui lui donne ce qu’en architecture on appelle les proportions. Le style est la marque apparente de cet accord, de cette unité entre les parties d’une œuvre ; il dérive donc de l’intervention de la raison.

L’architecture des Égyptiens, celle des Grecs, possèdent le style, parce qu’elles sont déduites avec une inflexible logique du principe de stabilité sur lequel elles se sont établies. On n’en peut dire autant de tous les monuments romains de l’empire. L’architecture du moyen âge, au moment où elle abandonne les traditions abâtardies de l’antiquité, c’est-à-dire du XIIe au XVe siècle, possède le style, parce que, plus qu’une autre peut-être, elle procède avec cet ordre logique que nous entrevoyons dans les œuvres de la nature. Aussi, de même qu’en voyant la feuille d’une plante, on en déduit la plante entière ; l’os d’un animal, l’animal entier : en voyant un profil, on en déduit les membres d’architecture[1] ; le membre d’architecture, le monument.

Si, à l’œuvre, la force créatrice naturelle n’a pu obtenir des formations d’ensemble qu’à l’aide de parties ; si (sans parler des êtres organisés), pour faire la croûte primitive de notre globe, elle a procédé par juxtaposition de corps cristallisés suivant une forme unique ; et si les masses

  1. On reconnaîtra, en parcourant l’article Trait, que ce que nous disons ici n’est point une exagération.