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communes de l’Auvergne, du Bourbonnais, Bourges, Tours, Angers, firent parvenir à Orléans du soufre, du salpêtre, de l’acier, des arbalètes[1], du plomb, des vivres, de l’huile, des cuirs, etc.

Depuis 1410, Orléans se préparait en prévision des éventualités de la guerre. À dater de cette époque (environ), les comptes de la ville sont divisés en dépenses communales et dépenses de forteresse. Les procureurs[2], choisis par les habitants, étaient chargés de la gestion de ces fonds, et il faut reconnaître que cette administration municipale procéda avec une intelligence rare des intérêts généraux du pays, bien qu’alors le système de centralisation ne fût point inventé. Certes, la ville d’Orléans, en se préparant à une défense énergique, entendait garantir ses biens propres, mais elle n’ignorait pas que sa soumission pure et simple au roi d’Angleterre eût été moins préjudiciable à ses intérêts matériels que les chances d’un long siège. Les villes tombées au pouvoir de la couronne d’Angleterre étaient peut-être moins malheureuses que celles qui tenaient pour la couronne de France, impuissante à les protéger et à réprimer les abus des gens de guerre de son parti. Ce n’était donc pas un sentiment de conservation d’intérêts locaux qui dirigeait la ville d’Orléans et toutes celles restées fidèles à la royauté française, lorsqu’elles prétendaient résister aux armes de Henri V, mais un mouvement national, le patriotisme le plus pur et le plus désintéressé. Depuis plus de dix ans la France était ruinée par la guerre civile et la conquête. Les campagnes dévastées, la famine partout, le pillage des gens de guerre, Armagnacs, Bourguignons, Anglais, organisé, semblaient avoir dû réduire ces contrées à la misère et au découragement ; et cependant des villes, des bourgades mêmes, sans espérance de recevoir des secours du pouvoir royal, enseveli dans une forteresse, ou de leurs seigneurs, prisonniers des Anglais, ne comptant que sur leur patriotisme et leurs bras, prétendaient opposer une barrière à la domination étrangère, qui déjà était considérée par les trois quarts de la France comme un pouvoir légitime. Si en 1814 notre pays n’eût pas été énervé par le système d’absorption de la vie locale dans le pouvoir central, inventé par Louis XIV et perfectionné depuis, croit-on que les étrangers auraient pu aussi aisément faire cantonner leurs troupes sur le territoire ? Alors, que pouvait opposer une ville, du moment que les troupes impériales l’avaient évacuée ? présenter les clefs aux ennemis. Sachons donc reconnaître ce qu’il y a de grand et de fort dans cet esprit du moyen âge, au milieu de tant d’abus, car il a fourni le ciment qui nous constitue en corps de nation. Quand nous voyons des procureurs d’une ville, pendant dix-huit

  1. Comptes de la commune. La ville de Montpellier envoie en 1427 à Orléans quatre grandes arbalètes d’acier pesant chacune 100 livres, plus cinq balles de salpêtre et de soufre pesant 750 livres. On reçoit d’Auvergne et du Bourbonnais 198 cloches (carreaux) d’acier pour faire des arbalètes.
  2. Plus tard les procureurs ou procurateurs furent désignés sous le nom d’échevins.