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[siège]
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cipitent sous la porte[1]. Mais le châtelain se jette en désespéré avec quelques hommes contre les gens de Bertrand, il en tue plusieurs ; puis, avisant une charrette, il la fait rouler en travers du passage. Appelé par un soldat devant Bertrand, il rend la place. Ce n’est pas la seule occasion où du Guesclin emploie ces procédés expéditifs pour s’emparer d’une forteresse, ce qui ne l’empêchait pas d’ailleurs de réunir avec une prévoyance rare tout ce qui est nécessaire pour faire un siège en règle. Nous voyons même qu’en attaquant le château de Pestien[2] par eschelades et de vive force, il a eu le soin de réunir à son corps d’armée cent chariots et mille ouvriers, et qu’il emploie toute une nuit à couper du bois et à préparer des engins.

Au siège de Meulan, du Guesclin s’empare hardiment de la baille, des ouvrages avancés, sans travaux préparatoires, et il force la garnison à se retirer dans le donjon qui commandait le pont sur la Seine. Les soldats de Bertrand ne peuvent la prendre de vive force. Ordre est donné de miner cette tour. Les mineurs ont avec eux des hommes de garde pour les défendre au besoin, si l’assiégé évente la mine ; mais les précautions sont si bien prises et la terre enlevée avec de telles précautions, que la garnison n’a pas connaissance du travail souterrain. La mine est enfin vidée, étayée de bois graissé[3] ; le feu y est mis, et la moitié de la tour « en chéy au lez devers le mont ».

Il est évident qu’aux yeux des gens de guerre de son temps, du Guesclin, qui faisait bon marché des routines et qui emportait en vingt-quatre heures des places que l’on supposait pouvoir tenir pendant plusieurs mois, était (qu’on nous passe le mot) un gâte-métier. C’est ce que disaient

  1. Il est nécessaire de faire une observation. Le trouvère Cuvelier appelle la herse une barbaquenne :

    « La barbaquenne estoit tout aval abaissie.
    ..................
    La barbaquenne fu encontremont sachie (tirée)
    ..................
    Et que la barbaquenne, qui fu de fer pesant,
    Estoit levée amont, lors viennent accourant. »

    On sait que le mot de barbacane est habituellement donné à un ouvrage avancé servant à couvrir une porte. Or, ici, il ne peut y avoir de doute sur la signification donnée par le poëte à ce mot : c’est une herse, et non un pont-levis. Quand l’eschelade a réussi, les soldats de Bertrand tirent la barbaquenne en contremont, ce qui signifie qu’ils la lèvent : or, ils n’auraient pas levé le pont-levis étant dans la ville, pour empêcher leurs compagnons d’entrer ; et les défenseurs, le châtelain à leur tête, ne se seraient pas précipités au-devant des assaillants en voyant le pont-levis levé amont, puisque ce pont, levé, les en eût séparés. C’est donc bien d’une herse qu’il s’agit ici. Le mot de barbaquenne appliqué à une herse est-il plus ancien que le même mot appliqué à un ouvrage avancé ? lui est-il postérieur ? C’est ce que nous ne saurions décider. Le mot barbacane appliqué à un ouvrage extérieur est employé dès le XIIe siècle. (Voy. Gloss. du Cange.)

  2. Aujourd’hui Pestivien (Côtes-du-Nord), 25 kilomètres de Guingamp.
  3. Chron. de Bertran du Guesclin, vers 4 012 et suiv.