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[siège]
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tique qui pût leur permettre d’acquérir une supériorité bien marquée sur les troupes des kalifes, souvent battus même, surent conduire avec succès un grand nombre de sièges longs, pénibles. C’est que la nécessité est un maître sévère ; que devant ces places fortes, bien munies, il fallait procéder avec ordre, contracter des habitudes de travail et de discipline que ne pouvait remplacer la bravoure seule ; qu’il fallait se bien garder ; penser aux approvisionnements de toute nature ; posséder cette qualité supérieure du soldat, la patience tenace ; qu’il fallait du sang-froid et de la régularité dans les travaux. Aussi quand ces débris d’armée reviennent en Occident, quel changement dans les allures, dans la façon de conduire les opérations militaires ! Les troupes de Philippe-Auguste ne sont plus ces hordes armées du XIe siècle, ce sont de véritables corps organisés, procédant régulièrement déjà et habiles dans l’art d’assiéger les places les plus fortes. Si Philippe-Auguste a attaqué et pris un si grand nombre de villes et de châteaux ; si le premier, il a pu être considéré comme un roi des Français, possédant une autorité non contestée, n’est-ce pas en grande partie à cette instruction militaire des armées des croisés en Syrie qu’il a dû cette prépondérance[1] ? Les troupes du terrible comte Simon de Montfort n’étaient-elles pas composées en partie de chevaliers et de soldats qui avaient fait la guerre en Syrie.

Sur le siège de Toulouse, entrepris par le comte, il nous reste un document précieux écrit en vers provençaux par un poëte contemporain et témoin oculaire, semble-t-il[2].

Simon de Montfort, forcé de lever le siège de Beaucaire, après avoir perdu devant cette ville ses équipages, ses chevaux, ses mulets arabes, ses engins, se dirige vers Toulouse, plein de colère et de désirs de vengeance. Il convoque tous les hommes du Toulousain, du Carcassez, du Razès, du Lauraguais, en leur donnant l’ordre de venir le joindre. Arrivé devant la ville en ennemi plutôt que comme un seigneur rentrant chez lui, les gens de Toulouse le supplient de laisser hors des murs cet attirail guerrier, et de vouloir bien entrer en ville, lui et son monde, en tunique et sur des palefrois. « Barons, répond le comte, que cela vous plaise ou déplaise, armé ou sans armes, debout ou couché, j’entrerai dans la ville et saurai ce qui s’y fait. Pour cette fois, c’est vous qui m’avez provoqué à tort : vous m’avez enlevé Beaucaire que je n’ai pu reprendre, le Venaissin, la Provence et le Valentinois. Plus de vingt messages m’ont annoncé que vous étiez par serment liés contre moi ; mais, par la vraie croix sur laquelle Jésus-Christ fut mis, je n’ôterai point mon haubert ni mon heaume de Pavie jusqu’à ce que j’aie choisi des otages parmi la fleur de la ville… »

  1. Voyez la description d’un des sièges les plus longs et difficiles, entrepris par Philippe-Auguste, à l’article Château.
  2. Hist. de la croisade contre les Albigeois, Collect. des docum. inéd. de l’histoire de France, publiés par les soins du Ministre de l’instruction publique (Paris, 1837).