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comme les Romains le faisaient, pour maintenir en équilibre les parties supérieures des murs minés jusqu’au moment où le feu, en consumant les étais, laisse la construction s’affaisser sur elle-même.

Il est évident que cette armée des princes occidentaux, composée aux trois quarts d’une foule sans consistance, sans discipline, remplie de femmes, d’enfants, n’était pas faite pour mener un siège avec fruit, avec ordre et méthode. On ne voit pas, dans le récit de Guillaume de Tyr, un plan arrêté : c’est une succession d’expédients. Mais ces armées, ou plutôt ces amas d’émigrants ne devaient pas tarder à s’instruire dans l’art d’attaquer les places, par une bien dure expérience. Le siège d’Antioche laisse voir déjà des progrès sensibles, progrès qui ne s’accomplissent qu’après des échecs.

L’armée, traversant la Bithynie et la Galatie pendant le mois de juillet 1097, vit périr la plus grande partie de ses bêtes de somme et de ses chevaux de guerre. Beaucoup de ces pèlerins sans armes, de ces femmes qui suivaient le gros des troupes, restèrent sur la route, et moururent de misère et de maladie.

Les croisés ne se présentèrent devant Antioche qu’aux approches de l’hiver. Le conseil des princes décida toutefois que le siège serait mis devant la place sans délai. L’armée comptait encore plus de trois cent mille hommes en état de porter les armes, sans compter la masse flottante qu’elle traînait à sa suite, et au milieu de laquelle il y avait beaucoup de femmes et d’enfants. Cependant, si nombreuse qu’elle fût, cette armée ne put investir complètement la place. « Elle creusa, dit Kemal-Eddin[1], un fossé entre elle et la ville ; son dessein était de se mettre à l’abri des attaques de la garnison, qui faisait de fréquentes sorties. » Guillaume de Tyr ne parle pas de cette ligne de contrevallation, mais il dit que les croisés, en arrivant, coupèrent tous les arbres des vergers voisins de la ville pour établir des barrières autour du camp et des pieux pour attacher leurs chevaux.

Antioche était encore à cette époque une ville populeuse et bien fortifiée. Bâtie sur la rive gauche de l’Oronte, ses remparts étaient percés de plusieurs portes : les unes, au nombre de cinq, donnaient sur la plaine à l’opposite du cours du fleuve ; les autres, au nombre de trois, sur les rives de celui-ci. L’une de ces portes, celle qui était située en aval, à l’occident, donnait sur un pont de pierre traversant le fleuve ; celle située en amont, nommée porte du Chien, avait devant elle une chaussée sur arcs de maçonnerie, traversant un marais. De la porte du milieu, dite porte du Duc, à la porte d’aval, dite porte du Pont, le fleuve baignait les remparts. L’investissement ne put donc s’étendre que sur les côtés oriental, sud et occidental, et une partie seulement du côté nord. Les habitants étaient maîtres du pont, et les croisés, au commen-

  1. Auteur de l’Hist. d’Alep. (Voyez les Extraits des historiens arabes relatifs aux guerres des croisades, Reinaud, § I.)