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de bons ingénieurs, des capitaines habiles et de sang-froid, des approvisionnements de toute nature, et si les défenseurs n’ont pris l’habitude de l’ordre et de la discipline ? On ne peut donc dire que les villes gauloises, fortifiées à la hâte au Ve siècle, aient été assiégées, puisqu’elles ne pouvaient se trouver dans les conditions les plus ordinaires d’une défense. Elles étaient investies, prises d’assaut après une résistance inutile, et mises à sac. Ces hordes de Huns, de Wisigoths, de Vandales, n’avaient et ne pouvaient avoir d’autre tactique, en fait d’attaque de places fortes, que l’audace, le mépris du danger, la furie qui fait franchir les obstacles sans tenir compte de la vie du soldat.

L’art si avancé de l’ingénieur romain, soit pour défendre, soit pour attaquer les places, était perdu en Occident, et ne devait reparaître qu’après de longues périodes de guerres et de désastres.

Les sièges entrepris par les Mérovingiens (autant que les textes nous permettent de les apprécier) ne consistent qu’en travaux peu importants de contrevallations, et qu’en assauts répétés. Si les villes résistent tant soit peu, le découragement, les maladies, ont bientôt réduit à néant les troupes d’assiégeants. Cependant les barbares eux-mêmes avaient emprunté aux Romains ou aux Orientaux quelques-uns de leurs moyens d’attaque. Grégoire de Tours[1] parle de béliers qu’Attila aurait employés pour battre les murs d’Orléans. Aétius, comme on sait, le força d’ailleurs à lever ce siège ; mais dans ces temps intermédiaires entre le régime romain et l’établissement féodal en France, il n’est question ni de travaux réguliers d’investissement, ni de mines méthodiquement tracées, ni de ces engins que l’empire d’Orient avait pu emprunter aux Grecs, ni de tranchées de cheminement, ni de ces plates-formes (aggeres) que savaient si bien élever les troupes impériales en face des remparts d’une place forte. Lorsque les Normands firent irruption dans le nord et l’ouest de la Gaule, sous les Carlovingiens, ils ne trouvèrent devant eux que des villes palissadées à la hâte, des forts de bois, des défenses en ruine ou mal tracées. Ils assiégeaient ces places à peine fermées, s’en emparaient facilement, et emportaient leur butin sur leurs bateaux, dans des camps retranchés qu’ils établissaient sur les côtes, près de l’embouchure des fleuves ou dans des îles. Il n’est pas douteux que ces peuples scandinaves, traités de barbares par les chroniqueurs occidentaux, étaient, au point de vue militaire, beaucoup plus avancés qu’on ne l’était dans les Gaules. Ils savaient se fortifier, se garder, approvisionner et munir leurs camps d’hiver : et en cela ils montraient bien leur origine aryane ; les Aryas ayant laissé partout où ils ont passé les traces de ces travaux défensifs, de ces oppida, dont l’assiette est toujours bien choisie. Or, qui sait comment on peut se défendre, sait comment on peut attaquer ; la défense d’une place n’étant autre chose que la prévision des moyens qu’emploiera l’attaque.

  1. Livre II, chap. VII.