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finances, et Bureau de la Rivière, chambellan du roi[1]. En examinant ces statues de la fin du XIVe siècle, comme toutes celles de cette époque, il est facile de voir que l’artiste tenait avant tout (puisqu’il habillait ses figures) à ce que le vêtement fût bien porté. Or, pour bien porter un vêtement long, par exemple, il est nécessaire de donner au corps certaines inflexions qui seraient ridicules chez un personnage se promenant tout nu. Il faut marcher des hanches, tenir les jambes ouvertes et faire en sorte, par les mouvements du torse, que la draperie colle sur certaines parties, flotte sur d’autres. Faire, pour une statue vêtue, un bon mannequin en raison du vêtement, n’est point chose aisée. Nos statuaires du XIVe siècle avaient du moins ce mérite. Ainsi la statue du cardinal de la Grange, que nous citions tout à l’heure, est parfaitement entendue comme mouvement du nu pour faire valoir le vêtement. Cependant ce mouvement serait choquant pour un personnage nu. Nous en donnons (fig. 77) le tracé. La jambe droite porte plutôt que la jambe gauche ; celle-ci cependant étaye le torse, qui se porte en arrière pour faire saillir la hanche droite. L’épaule gauche s’affaisse, contrairement aux règles de la pondération, pour un personnage qui n’aurait pas à se préoccuper du port d’un vêtement. Voici (fig. 78) une copie de cette statue du cardinal de la Grange, qui fait assez voir que le mouvement indiqué ci-dessus est donné en vue d’obtenir ce beau jet de draperies du côté droit. Le personnage, suivant la mode du temps, s’étaye sur sa jambe gauche en écartant cette jambe, ramenant un peu le genou en dedans et en ne s’appuyant que sur la partie interne du talon. Le geste, l’agencement et le style des draperies, le caractère de la tête, sont d’un artiste distingué. La statue de Bureau de la Rivière est, outre l’intérêt qu’elle présente, une œuvre de statuaire non moins remarquable. Ces statues ont deux mètres et demi de hauteur.

Charles V laissait dans sa famille un goût éclairé pour les arts, et, à dater de ce règne, nous voyons les princes du sang royal se mettre à la tête d’un nouveau mouvement d’art dont ni les historiens ni les archéologues de notre temps ne semblent pas avoir tenu assez compte. En effet, le second fils de Charles V, Louis d’Orléans, assassiné dans la nuit du 23 au 24 novembre 1407, par le duc de Bourgogne, était un prince aimant les arts avec la passion d’un connaisseur émérite. Pendant la démence de son frère Charles VI, jusqu’au jour de sa mort, c’est-à-dire de 1392 à 1407, il gouvernait à peu près seul, avec la reine Isabeau de Bavière, les affaires du royaume. Ce fut pendant cette période que Louis d’Orléans acheta Coucy, et y fit faire d’immenses travaux, qu’il bâtit

  1. Voyez la Notice de M. Goze, correspondant du Comité des arts et monuments, sur ces statues remarquables.