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et jamais l’exécution ne tombe dans la barbarie ; car la barbarie dans la conception ou même dans l’exécution des œuvres d’art, arrivant après une période de splendeur, est toujours la conséquence de l’asservissement de la pensée. Nous en avons la triste preuve dans les monuments romains. À la fin de l’empire, sans qu’il y ait eu interruption dans les travaux, sans que l’enseignement d’art fût supprimé, sans qu’on eût cessé un seul jour de sculpter ou de bâtir, l’exécution est tombée si bas, qu’elle n’inspire plus que le dégoût, et fait presque désirer l’irruption de véritables barbares, mais jeunes, vigoureux et ayant l’avenir devant eux, pour effacer les traces de ces arts séniles qui ne sauraient plus rien produire.

Pendant que l’école de l’Île-de-France opérait cette révolution radicale dans l’art de la sculpture, celle de la haute Champagne, celle du Poitou, flottaient entre les traditions romanes et ces innovations, dont elles ne comprenaient pas l’importance ; ces provinces avaient d’ailleurs élevé l’art roman à un degré de perfection supérieur, soit comme structure, soit comme décoration, et n’abandonnaient qu’avec peine les méthodes ou le style d’ornementation qui avaient laissé de nombreux exemples dans le pays. Ainsi, à Poitiers, les parties de la cathédrale bâties pendant les dernières années du XIIe siècle font apercevoir des réminiscences non douteuses de la sculpture décorative gréco-romaine de Syrie, à côté d’ornements empruntés à la flore locale. Les chapiteaux des grandes arcatures des collatéraux de la nef, bâtis de 1190 à 1205, présentent cette juxtaposition des deux styles.

Quant à l’école de la haute Champagne, qui comprenait les départements de la Haute-Marne, de la Haute-Saône et d’une partie de la Côte-d’Or, son centre était à Langres. Cette école avait adopté de bonne heure un style de sculpture qui se rapprochait sensiblement du style bourguignon, mais avec une dose de traditions gallo-romaines plus prononcée. Possédant de beaux matériaux, cette contrée élève des édifices dont l’exécution est généralement fort bonne. Son architecture suit la chaîne de plateaux élevés qui s’étend de Langres même jusqu’à Lyon, en passant par Saulieu, Beaune, Autun, Paray-le-Monial et Charlieu. Mais, sur cette ligne, on peut distinguer deux écoles de sculpture : celle de la haute Champagne, dont le foyer est à Langres, qui continue assez tard les traditions romaines, et celle de la Bourgogne, qui s’en affranchit promptement. Toutefois, en suivant le style roman, l’école de sculpture de la haute Champagne est évidemment, à la fin du XIIe siècle, stimulée par les progrès des écoles de l’Île-de-France et de Troyes, et cherche une exécution plus large, un modelé plus savant et plus ferme, sans recourir franchement à la flore. Ces ornements (fig. 57 et 58), qui proviennent de la cathédrale de Langres (fin du XIIe siècle), indiquent l’indécision de cette école, balançant entre les traditions romanes et les nouveaux principes admis par les sculpteurs de l’Île-de-France.

Le fragment (fig. 57) d’un chapiteau, est encore tout gréco-romain, mais