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contre le système théocratique et le système féodal. Cette école, une fois maîtresse dans le domaine de l’art, entendait que rien, dans les arts, ne devrait rappeler un passé dont on ne voulait plus. Aussi, avec quel empressement les grandes villes du Nord s’empressent de jeter bas leurs vieilles cathédrales pour en bâtir de nouvelles ! Rien ne leur coûte pour effacer la dernière trace de cet art roman développé au sein des établissements monastiques !

Qu’alors les évêques, les seigneurs, ne l’aient pas entendu ainsi, que les populations des villes n’aient pas précisé leur pensée avec cette rigueur, cela est certain : mais les monuments sont là ; leur caractère, les détails dont ils se couvrent, leur structure, parlent pour ces premières corporations d’artistes et d’artisans laïques, qui certes n’ont pas, par l’effet du hasard, et sans une raison bien mûrie, rompu brusquement avec tout un passé. La franc-maçonnerie, le compagnonnage des charpentiers, sont un dernier débris de ces associations laïques, sortes d’initiations dont les résultats, longtemps présentés comme l’expression de la barbarie et de l’ignorance, ne sont, à tout prendre, que le symptôme manifeste des premiers efforts d’une nation qui se reconnaît après tant d’asservissements successifs, veut se constituer, et date son affranchissement, le retour de son esprit national, sur des monuments dus à son propre génie et n’empruntant plus rien aux siècles antérieurs. Aussi ne signaient-ils que bien rarement leurs œuvres, ces premiers maîtres de l’école laïque. À quoi bon ? ils laissaient sur ces monuments l’empreinte du génie national débarrassé de tant de traditions décrépites, et cette signature a sa valeur.

Si ces artistes, après avoir établi un principe de structure neuf, après avoir soumis logiquement à ce principe tout un système de proportions, de profils, de tracés, avaient conservé quelque chose de la décoration romane, aux yeux de la foule ils étaient liés encore à l’art roman. Aussi ne font-ils nulle concession : l’ornementation romane n’existe plus, et pour en constituer une nouvelle, ils étudient curieusement les végétaux qui croissent dans les champs et dans les bois. La statuaire romane est reléguée dans le passé ; ils observent la nature et la considèrent sous un aspect nouveau : ce n’est pas seulement la forme plastique qu’ils cherchent à reproduire en l’idéalisant, c’est le sentiment moral de l’individu.

Une fois sur cette voie, si rigoureuse que fût la constitution de la corporation, son organisation toute républicaine devait la pousser sans arrêts vers le progrès. Malheureusement, dans les choses d’art, le progrès, en nous élevant promptement à l’apogée, nous en fait descendre ; la sculpture, comme chez les Grecs, après avoir idéalisé la nature, veut sans cesse s’en rapprocher et tombe dans la recherche de la réalité. Cependant il arrive à cette école ce qui arrive à toutes les constitutions basées sur la liberté de la pensée, même lorsque celle-ci recherche la quintessence en toute chose, et abandonne l’idéal, toujours un peu vague, pour le réel : longtemps l’art se maintient à une grande hauteur,