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très-vraisemblablement, s’occupant de la peinture, des vitraux, de l’orfèvrerie, de la menuiserie, etc. ; d’autres avaient dû être écrits dans les monastères, parce qu’il s’agissait de transmettre des méthodes, soit d’un couvent à l’autre, soit dans des écoles séparées du monastère. Mais les membres laïques des corporations d’artistes ou d’artisans, non-seulement n’avaient nul besoin de mettre sur le papier le résultat de leur expérience et de leur savoir, mais devaient éviter même de rien écrire, pour ne pas donner au vulgaire les recettes, les méthodes admises dans l’atelier. L’album de Villard de Honnecourt, qui date de 1250 environ, n’est qu’un cahier de notes prises partout et sur tout, depuis des procédés de tracés jusqu’à des recettes pour faire des onguents, mais n’a pas le caractère d’un traité destiné à perpétuer des méthodes ou des moyens pratiques. Villard discute, il pose des questions ; son cahier est un memento, pas autre chose.

Cet état social des artistes laïques à la fin du XIIe siècle, connu, nous démontre comment ces corporations devaient nécessairement agir dans une sphère absolument libre ; car, à moins de supprimer la corporation, comment lui imposer un goût, des méthodes ? Force était d’accepter ce qu’elle voulait faire, de suivre le style, les procédés qu’il lui plaisait d’adopter, et dont elle discutait la valeur au sein de son organisation toute républicaine, où les voix n’avaient qu’une autorité purement morale, due à une longue expérience, au génie ou au simple mérite personnel. Une organisation pareille pouvait seule changer en quelques années la face des arts, sans qu’aucun pouvoir, ou civil, ou ecclésiastique (en eût-il eu la volonté), fût en état d’arrêter le mouvement donné. Mais ce qui imprime un caractère d’une grande valeur nationale à cet établissement des écoles laïques du XIIe siècle, c’est que leur premier soin est de rompre avec le passé : que ce passé soit le romain, dont les monuments ne manquaient pas en France, qu’il soit le roman plus ou moins imprégné des arts gréco-romains ou syriaques, les écoles laïques le repoussent comme structure, comme aspect des masses, comme proportions, comme décoration. Nous ne croyons pas utile, arrivé au huitième volume de ce Dictionnaire, de répondre à l’objection faite parfois : que les artistes gothiques n’ont pas copié l’architecture romaine parce qu’ils étaient hors d’état de l’imiter, trop ignorants pour en comprendre la valeur. Ce qu’ils tentaient et ce qu’ils obtinrent, était bien plus savant que ne l’eût été une imitation des arts romains. D’ailleurs, après l’art roman, il était plus facile de retourner franchement au romain, qui en diffère si peu, que de s’en écarter. Si l’école s’en éloignait plus que jamais, si elle rompait même avec les traditions des arts antiques fusionnés dans le roman, c’est qu’elle en avait la volonté, et que cette volonté s’appuyait sur une raison supérieure à toute autre.

Voilà ce qu’il faut bien constater, si l’on veut comprendre quelque chose à ce mouvement d’art de la fin du XIIe siècle. C’était une réaction active, violente, aussi bien contre l’antique domination romaine que