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certainement un rôle bien autrement important qu’on ne se l’imaginait il y a encore un demi-siècle. Nous pensons donc qu’on a donné une place trop large à l’influence de la civilisation romaine sur la Gaule et que cette influence, toute gouvernementale et administrative, malgré trois siècles de domination sans troubles, n’a jamais fait pénétrer dans le sol national que des racines peu profondes, que le régime féodal et l’introduction d’éléments identiques à ceux de la vieille Gaule celtique, au Ve siècle, n’a pu que raviver le génie national comprimé pendant la période romaine et qu’enfin, à cette époque du moyen âge ou un ordre relatif se rétablit, ce génie national considère comme un temps d’arrêt, une lacune, la période de domination et de désordre comprise entre le Ier siècle et le XIe.

Si dans les monuments qui nous restent de l’époque carlovingienne, nous voyons la sculpture, dans les Gaules, s’efforcer de se rapprocher des arts antiques, copier grossièrement des ornements romains, pourquoi à la fin du XIe siècle abandonne-t-on ces traditions sur la partie du territoire qui est destinée à former le noyau de l’unité nationale rêvée par Vercingétorix, cinquante ans avant notre ère ? Pourquoi les arts de ces provinces françaises, entourant Paris, après avoir produit les grossiers essais dont nous venons de donner un fragment (figure 43), n’adoptent-ils qu’avec réserve, soit les importations de l’Orient acceptées avec empressement au delà de la Loire, soit les restes des édifices gallo-romains dont ils étaient entourés ? Et comment se trouvant dans une situation d’infériorité relative au commencement du XIIe siècle, si on les met en parallèle avec les écoles des Clunisiens et celles du Midi, atteignent-ils au contraire, dès 1150, une supériorité marquée sur ces écoles de l’Est et d’outre-Loire ? Ce serait donc que le génie national, mieux conservé dans ces provinces voisines de Paris, plus ombrageux à l’endroit des importations étrangères, se trouvait, par cela même, plus propre à concevoir un art original ?

L’art roman de l’Île-de-France et des provinces limitrophes, au commencement du XIIe siècle, est relativement barbare, ce n’est pas contestable, mais en peu d’années, dans ces provinces, les choses changent d’aspect. Tandis que la sculpture des provinces méridionales et du centre ne progresse plus et tend au contraire à s’affaisser vers la seconde moitié du XIIe siècle, indécise entre le respect pour des traditions diverses et l’observation de la nature ; dans le domaine royal, il se forme une grande école qui ne rappelle plus la sculpture gallo-romaine, qui refond, pour ainsi dire, l’art byzantin et se l’approprie, qui ne néglige pas absolument ces traces éparses de l’art que nous appelons Nord-Européen, mais qui sait tirer de tous ces éléments étrangers des traditions locales, l’unité dans la composition, dans le style et l’exécution, fait que nous chercherions vainement ailleurs sur le sol gaulois. Cette école préludait ainsi à l’enfantement de cet art laïque de la fin du XIIe siècle si complet, si original aussi bien dans la structure des édifices que dans la manière toute nouvelle de les décorer.