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qu’ils ont subies, nous laissent encore voir des compositions charmantes, bien comprises comme bas-reliefs et d’un style tout à fait remarquable, ainsi qu’on pourra tout à l’heure en juger.

Cependant, comme il arrive toujours au sein d’une école de statuaire déjà développée, on inclinait à admettre un canon du beau. Ce canon qui était loin d’avoir la valeur de ceux admis par les artistes de la belle antiquité grecque, avait un mérite, il nous appartenait ; il était établi sur l’observation des types français, il possédait son originalité native. Aussi est-il aisé de reconnaître, à première vue, une statue appartenant à l’école de l’Île-de-France du milieu du XIIIe siècle entre mille autres. Ces types ont un charme ; leur exacte observation, après tout, donne des résultats supérieurs à ceux que peut produire l’imitation de seconde main d’une nature physique qui nous est devenue étrangère. Nous l’avons dit déjà ; le beau n’est pas heureusement limité dans une certaine forme. La nature a su répartir le beau partout ; c’est à l’artiste à le distinguer du vulgaire, à l’extraire par une sorte d’opération intellectuelle d’affinage, du milieu d’éléments grossiers, abâtardis où il existe à l’état parcellaire. Les statuaires grecs n’ont pas fait autre chose, mais de ce que la Vénus de Milo est belle, on ne saurait admettre que toutes les femmes qui ne ressemblent pas à la Vénus de Milo sont laides. Le beau, loin d’être rivé à une certaine forme, se traduit dans toute créature par une harmonie, une pondération, qui ne dépendent pas essentiellement de la forme. Il nous est arrivé à tous, devant un geste vrai, une certaine liaison parfaite entre le sentiment de la personne et son apparence extérieure, d’être vivement touchés. C’est à rendre cette harmonie entre l’intelligence et son enveloppe que la belle école du moyen âge s’est particulièrement attachée. Dans les traits du visage, comme dans les formes et les mouvements du corps, on retrouve l’individu moral. Chaque statue possède son caractère personnel, qui reste gravé dans la mémoire comme le souvenir d’un être vivant que l’on a connu. Il est entendu que nous ne parlons ici que des œuvres ayant une valeur au point de vue de l’art, œuvres qui d’ailleurs sont nombreuses. Une grande partie des statues des porches de Notre-Dame de Chartres, des portails des cathédrales d’Amiens et de Reims possèdent ces qualités individuelles, et c’est ce qui explique pourquoi ces statues produisent sur la foule une si vive impression, si bien qu’elle les nomme, les connaît et attache à chacune d’elles une idée, souvent même une légende. Telle est, entre autres, la belle statue de la Vierge de la porte Nord du transsept de Notre-Dame de Paris. Comme attitude, comme composition, agencement de draperies, cette figure est un modèle de noblesse vraie ; comme expression, la tête dévoile une intelligence ferme et sûre, une fierté délicate, des qualités de grandeur morale qui rejettent dans les bas-fonds de l’art cette statuaire prétendue religieuse dont on remplit aujourd’hui nos églises ; pauvres figures aux gestes de convention, à l’expression d’une doucereuse fadeur, cherchant le joli pour plaire à une petite église de boudoir.