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dans le Nouveau Testament prennent la place importante, si le Christ assiste au Jugement, si le royaume du ciel est figuré, si l’histoire de la sainte Vierge se développe largement, si la hiérarchie céleste entoure le Sauveur ressuscité, à côté de ces scènes purement religieuses apparaissent, l’histoire de la Création, le combat des Vertus et des Vices, des figures symboliques, la Synagogue, l’Église personnifiées, les Vierges sages et folles, la Terre, la Mer, les productions terrestres, les Arts libéraux. Puis les prophéties qui annoncent la venue du Messie, les ancêtres du Christ, le cycle davidique commençant à Jessé.

Il y a donc dans cette statuaire de nos grandes cathédrales un ordre, et un ordre très-vraisemblablement établi par les évêques, suivant un système étranger à celui qui avait été admis dans les églises conventuelles. Mais à côté de cet ordre, il y a l’exécution qui, elle, appartient à l’école laïque. Or, c’est dans cette exécution qu’apparaît un esprit d’indépendance tout nouveau alors, mais qui pour cela n’en est pas moins vif. Dans les représentations des vices condamnés à la géhenne éternelle, les rois, les seigneurs, ni les prélats ne font défaut. Les vertus ne sont plus représentés par des moines, comme sur les chapiteaux de quelques portails d’abbayes, mais par des femmes couronnées : l’idée symbolique s’est élevée ; parmi ces vertus apparaît, comme à Chartres, la Liberté (Libertas). L’Avarice figurée sur les portails des églises abbatiales de Saint-Sernin de Toulouse et de Sainte-Madeleine de Vézelay, par un homme portant au cou une énorme sacoche et tourmenté par deux démons hideux, est représentée au portail de la cathédrale de Sens par une femme les cheveux en désordre, assise sur un coffre qu’elle ferme avec un mouvement plein d’énergie. L’artiste remplace la représentation matérielle par une pensée philosophique. Plus de ces scènes repoussantes, si fréquentes dans les églises abbatiales du commencement du XIIe siècle. Le statuaire du XIIIe siècle, ainsi que l’artiste grec, a sa pudeur, et s’il figure l’Enfer comme à la grande porte occidentale de Notre-Dame de Paris, c’est par la combinaison tourmentée des lignes, par les expressions de terreur données aux personnages, par leurs mouvements étranges, qu’il prétend décrire la scène et non par des détails de supplices repoussants ou ridicules. Le côté de damnés sur les voussures de la porte principale de Notre-Dame de Paris est empreint d’un caractère farouche et désordonné qui contraste singulièrement avec le style calme de la partie réservée aux élus. Toutes ces figures des élus expriment une placidité, une douceur quelque peu mélancolique qui fait songer et qu’on ne trouve pas dans la statuaire du XIIe siècle, ni même dans celle de l’antiquité.

C’est maintenant que nous devons parler de l’expression des sentiments moraux, si vivement sentie par ces artistes du XIIIe siècle et qui les classent au premier rang. Nos lecteurs voudront bien croire que nous n’allons pas répéter ici ce que des admirateurs plutôt passionnés qu’observateurs de l’art gothique ont dit sur cette belle statuaire, en préten-