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byzantins d’ivoire, de cuivre ou d’argent repoussé qu’on exportait sans cesse de Constantinople. Tout dans cette sculpture est de convention ; on n’y retrouve que les traces effacées d’un art qui ne procède plus que par recettes. Mais de cette sculpture qui sent si fort la décadence, à celle qu’on fit un siècle plus tard à peine, dans les mêmes provinces, il y a toute une révolution ; car cette dernière a repris l’air de jeunesse qui appartient à un art naissant. Ce n’est plus la barbarie sénile, c’est le commencement d’un art qui va se développer. Des causes politiques empêchèrent cette école languedocienne de s’élever, ainsi que nous l’exposerons tout à l’heure ; mais ce que nous venons de dire explique les diverses natures des influences byzantines en France pendant le XIe siècle et les premières années du XIIe. Ces artistes de Provence, du Languedoc, du Rhin, par cela même qu’ils avaient entre les mains un grand nombre d’objets sculptés provenant de Byzance, n’avaient pas eu, comme les clunisiens, à transporter l’art de la peinture dans la statuaire ; aussi leurs produits n’ont pas cette originalité des œuvres de l’école clunisienne, qui, procédant de la peinture à la sculpture, devait mettre beaucoup du sien dans les imitations byzantines.

Voici donc, à la fin du XIe siècle, quel était l’état des écoles de sculpture dans les différentes provinces de la France actuelle. Les traditions romaines s’étaient éteintes à peu près partout, et ne laissaient plus voir que de faibles lueurs dans les villes du Midi. En Provence, les restes des monuments romains étaient assez nombreux pour que l’école de sculpture renaissante à cette époque s’inspirât principalement de la statuaire antique, tandis qu’elle allait chercher les ornements et les formes de l’architecture en Orient[1]. L’école de Toulouse avait abandonné toute tradition romaine, et s’inspirait, quant à la statuaire, des nombreux exemples sculptés rapportés de Byzance : l’ornementation était alors un compromis entre les traditions gallo-romaines et les exemples venus de Byzance. Dans les provinces rhénanes l’élément byzantin, mais altéré, dominait dans la statuaire et l’ornementation. Dans les provinces occidentales, le Périgord, la Saintonge, la statuaire était à peu près nulle, et l’ornementation, gallo-romaine, bien que Saint-Front eût été bâti sur un plan byzantin. À Limoges et les villes voisines, vers l’ouest et le sud, la proximité des comptoirs vénitiens avait donné naissance à une école assez florissante, appuyée sur les types byzantins. En Auvergne, le Nivernais et une partie du Berry, les traditions byzantines inspiraient la statuaire, tandis que l’ornementation conservait un caractère gallo-romain. Mais ces provinces étaient en rapport par Limoges avec les Vénitiens, et recevaient dès lors un grand nombre d’objets venus d’Orient. En Bourgogne, dans le Lyonnais, l’école clunisienne produisait seule des œuvres d’une valeur originale, et comme statuaire, et comme ornementation, par les motifs déduits plus hauts. Dans l’Île-de-France la statuaire n’avait nulle

  1. Voyez Porte, fig. 66, et le texte qui accompagne cette figure.