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sortent de leurs cercueils. Dans les compartiments inférieurs du tympan, à la droite du Christ, on voit Abraham recevant les élus dans les plis de son manteau ; à la suite, deux anges séparent les âmes. Celles qui sont élues sont couronnées. Dans le compartiment suivant, sont les damnés enchaînés et tirés par des démons ; parmi ces âmes, on remarque un évêque et un roi reconnaissables à la mitre et à la couronne, car ces petites figures sont nues d’ailleurs. Le dernier compartiment représente l’entrée de l’enfer sous la forme d’une gueule monstrueuse dans laquelle les démons précipitent les damnés. Au-dessus, dans deux quatre-lobes, la Vierge et saint Jean, agenouillés, implorent le Christ pour les pécheurs ; entre-deux est sculpté un ange, les ailes éployées et tenant un phylactère. Cet ange remplace le pèsement des âmes représenté d’une façon si dramatique sur les monuments antérieurs. Dans le quatre-lobes supérieur apparaît le Christ demi-nu, accompagné de deux anges tenant le soleil et la lune, et ayant sous ses pieds les douze apôtres assis. Dans les deux triangles latéraux, deux anges sonnent de la trompette. Il y a loin de ce petit paradis géométrique, où la statuaire ne remplit qu’un rôle très-secondaire, aux glorieux tympans de Notre-Dame de Paris, de Chartres, d’Amiens, et de la cathédrale de Bordeaux. Cette façon sommaire de représenter la scène du jugement indique assez que la grande école de statuaire tendait, à la fin du XIIIe siècle déjà, à laisser de côté les belles traditions religieuses qu’avaient si bien interprétées les artistes de 1160 à 1250.

En B, nous avons tracé le plan du trumeau.

C’est cependant sur ces compositions gracieusement agencées, mais qui manquent de style et de grandeur, que l’on juge habituellement l’art dit gothique. C’est comme si l’on prétendait apprécier l’art grec sur les compositions maigres et souvent maniérées du temps d’Adrien, au lieu de le juger sur les monuments du temps de Périclès.

On ne saurait nier toutefois qu’il y ait dans cette œuvre de la fin du XIIIe siècle, sinon beaucoup d’imagination, au moins une conception très-gracieuse, une étude fine des proportions et une perfection prodigieuse dans l’exécution des détails ; mais l’architecture l’emporte sur la statuaire, réduite à la fonction d’une simple ornementation. L’imagier n’est plus un artiste, c’est un ouvrier habile.

Ce qu’on ne saurait trop étudier dans les compositions du commencement du XIIIe siècle, c’est l’ampleur, les belles dispositions de la statuaire. Celle-ci, quoique soumise aux formes architectoniques, prend ses aises, se développe largement. On peut constater la vérité de cette observation, en examinant notre figure 68. Dans cette page, la statuaire remplit évidemment le rôle important, mais sans qu’il en résulte un dérangement dans les lignes de l’architecture. En comparant cette œuvre (la porte de la Vierge de la façade de Notre-Dame de Paris) avec les meilleures productions de l’antiquité, chacun peut constater qu’ici la statuaire est conçue d’après des données singulièrement favorables à son