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roman lourd, barbare même, si on le compare à celui des provinces du Centre, de l’Ouest et du Midi ; et tandis que dans ces dernières contrées, la transition du roman au gothique se fait péniblement, ou ne se fait pas du tout, nous voyons s’épanouir tout à coup, dans l’Île-de-France, en quelques années, un style délicat, sobre, rompant avec les traditions des âges précédents, tenant compte des proportions, en évitant les bizarreries si fréquentes au moment de la formation d’un art.

À Nesle, les colonnettes sont monostyles, indépendantes de la bâtisse ; le tracé du plan est, sauf plus de légèreté, tout roman ; mais les archivoltes se profilent de la façon la plus heureuse et la plus logique (voy. en A). La sculpture, rare, tandis qu’elle est prodiguée dans les portes romanes de la même contrée, est répartie par un artiste de goût sur les cordons, sur les pieds-droits, entre les colonnettes, comme pour faire ressortir celles-ci. Il y a évidemment ici réaction contre le style roman. Ce n’est pas une modification, c’est une rupture complète, qui devait amener rapidement les plus beaux résultats, puisque les portes occidentales de la cathédrale de Paris sont à peu près contemporaines de celle-ci, et que les portes des cathédrales d’Amiens et de Reims s’élèvent trente ou quarante ans plus tard[1].

Avant de nous occuper des portes si remarquables de quelques-unes de nos cathédrales françaises, nous croyons nécessaire de faire connaître encore certaines tentatives faites dans les provinces au moment où l’art s’affranchit des traditions romanes.

Pendant qu’on élevait les portes que nous avons figurées dans ces deux derniers exemples, c’est-à-dire de 1190 à 1200, on bâtissait en Bourgogne, près d’Avallon, un très-remarquable monument religieux, dont nous avons souvent l’occasion de parler, la petite église de Montréal (Yonne). Sa façade occidentale, entièrement lisse, n’est décorée que par une porte basse, large, et par une rose. La porte se distingue par la singularité de sa composition et par sa sculpture, qui est du plus beau style. Afin de pouvoir mieux faire apprécier cet ouvrage à nos lecteurs, nous adoptons une échelle qui permettra de prendre une idée plus exacte de son caractère, et nous ne donnons ainsi que la moitié de l’ensemble (fig. 63).

Bien que les murs de l’église de Montréal soient élevés en moellon smillé, les piles intérieures, les contre-forts et la façade sont construits en bel appareil de pierre de Coutarnoux (Champ-Rotard) ; les joints et lits étant fins et parfaitement dressés. Quant aux ravalements, ils sont faits avec un soin et une précision de taille tout à fait remarquables, et le charme de ce petit édifice consiste principalement dans la manière

  1. Le linteau et le trumeau de la porte de l’église de Nesle ont été enlevés et ne sont restitués ici que sur des fragments. Nous ne savons si le tympan contenait un bas-relief ; nous en doutons, considérant l’extrême sobriété de la sculpture de ce petit monument, élevé à l’aide de ressources très-minimes.