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d’arbres, alternativement perpendiculaires et parallèles à la direction du ravin, en encorbellement. On garnit les intervalles laissés vides entre ces troncs d’arbres, de pierres, de façon à former une pile lourde, homogène, présentant une résistance suffisante. D’une de ces piles à l’autre on jette deux, trois, quatre sapines, ou plus, suivant la largeur que l’on veut donner au tablier, et sur ces sapines on cloue des traverses de bois. Cette construction primitive, dont chaque jour on fait encore usage en Savoie, rappelle singulièrement ces ouvrages gaulois dont parle César, et qui se composaient de troncs d’arbres posés à angle droit par rangées, entre lesquelles on bloquait des quartiers de roches. Ce procédé, qui n’est qu’un empilage, et ne peut être considéré comme une œuvre de charpenterie, doit remonter à la plus haute antiquité ; nous le signalons ici pour faire connaître comment certaines traditions se perpétuent à travers les siècles, malgré les perfectionnements apportés par la civilisation, et combien elles doivent toujours fixer l’attention de l’archéologue.

Ces sortes d’ouvrages devaient sembler barbares aux yeux des Romains, si excellents charpentiers, et nous les voyons encore exécuter de nos jours au milieu de populations en contact avec notre civilisation. C’est que les travaux des hommes conservent toujours quelque chose de leur point de départ, et que dans l’âge mûr des peuples on peut encore retrouver la trace des premiers essais de leur enfance. C’est ainsi, par exemple, que, dans un ordre beaucoup plus élevé, nous voyons les charpentiers à Rome exécuter des charpentes considérables à l’aide de bois très-courts. C’était là une méthode adoptée par les armées romaines. Ne pouvant en campagne se procurer des engins propres à mettre au levage de très-grandes pièces de bois, ils avaient adopté des combinaisons de charpenterie qui leur permettaient de construire en peu de temps des ouvrages d’une grande hauteur ou d’un grand développement. Ces traditions romaines s’étaient encore conservées chez nous pendant les premiers siècles du moyen âge, où les difficultés de transport et de levage faisaient qu’on employait des bois courts pour exécuter des travaux de charpente, surtout en campagne. Villard de Honnecourt donne le croquis d’un pont fait avec des bois de vingt pieds[1]. « Ar chu, » écrit-il au bas de son croquis, « fait om ou pont desor one aive de fus de xx pies d lonc[2]. » Le moyen indiqué par Villard de Honnecourt est très-simple, et rappelle les ouvrages de charpenterie que nous voyons exprimés dans les bas-reliefs de la colonne Trajane et de l’arc de Septime Sévère. Villard élève deux culées en maçonnerie (fig. 13), auxquelles il scelle d’abord les chapeaux B des deux potences A. Les contre-fiches de ces potences assemblées dans les poteaux D sont roidies par les moises E. Sur les cha-

  1. Album de Villard de Honnecourt, manuscrit publié en fac-simile. J. B. Lassus et A. Darcel, 1858, pl. XXXVIII.
  2. « Par ce moyen fait-on un pont par dessus une eau avec des bois de vingt pieds de long. »