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après sa construction, le roi de France plante sur cette rive une forteresse qui en défend l’entrée ou la sortie, et que les papes, cinquante ans après, bâtissent un châtelet sur la rive gauche. Ainsi ce pont, d’utilité publique s’il en fut, vit ses deux issues fermées par les deux seigneurs qui occupaient chacune des rives.

Les péages perçus au passage des ponts étaient ordinairement affectés à leur entretien ; mais on comprend que ces ressources étaient souvent détournées de leur emploi ; aussi la plupart de ces ponts étaient mal entretenus. La plupart de ceux qui nous restent accusent des dégradations profondes, et qui datent de plusieurs siècles : « En temps de guerre, le seigneur d’épée avait, dans bien des provinces de France, le droit de faire démolir les ponts, même ceux à la construction desquels il n’avait pas contribué ; mais il fallait un cas de salut commun. Cependant il était nécessaire d’obtenir une permission spéciale du seigneur d’épée pour pouvoir réédifier ce pont démoli dans un but d’utilité momentanée[1]. » C’est ainsi que beaucoup de ponts du moyen âge furent coupés, et ne furent réparés que provisoirement, ce qui contribua encore à leur ruine. Le pont de Saint-Bénezet se trouvait précisément dans ce cas. Ce qu’il en reste nous permet d’en étudier et d’en décrire la construction. Les arches avaient de 20 à 25 mètres d’ouverture, et étaient au nombre de dix-huit. Dans l’île qui sépare les deux bras du Rhône, la chaussée était percée d’arches, aussi bien que sur les deux cours d’eau. Sur le grand bras, le pont, du côté de Villeneuve, formait un angle obtus, comme pour mieux résister à l’effort du courant. Mais nous reviendrons tout à l’heure sur cette disposition générale. Voici, figure 1, en A, le géométral d’une des arches, avec deux des piles. Il est à remarquer que sur quatre piles qui existent encore entières, il en est deux qui sont construites suivant le tracé B et deux suivant celui C. Sur l’une de celles conformes au profil C, la plus rapprochée de la ville, est bâtie la petite chapelle dédiée à Saint-Nicolas, dans laquelle étaient déposées les reliques de saint Bénezet. Le sol de cette chapelle est placé à 4m,50 au-dessous du tablier du pont, et l’on y descend par un escalier pratiqué partie en encorbellement, partie aux dépens de l’épaisseur du pont, ainsi que le fait voir le plan D[2]. Pour passer devant la chapelle, il n’était laissé au tablier en E qu’une largeur de 2 mètres, compris l’épaisseur du bahut. Par une arcade on pouvait voir du tablier l’intérieur de la chapelle, et une autre arcade en contre-bas ouvrait celle-ci vers l’aval, sur l’éperon. L’autre pile, construite de même avec des trompes, ne semble pas avoir été destinée à recevoir un autre édicule[3] ; peut-être ne formait-elle qu’une gare bien nécessaire sur un point aussi étroit et aussi long. Ces piles avec trompes alter-

  1. Droits et usages. M. A. Champollion-Figeac, p. 131.
  2. Ce plan est fait à la fois, et sur le tablier, et sur la chapelle en contre-bas.
  3. Il n’est fait mention que d’une chapelle sur le pont d’Avignon dans tous les documents que nous avons pu consulter.