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conséquent résistance suffisante si les colonnes étaient de pierre dure, de granit ou de marbre. Des murs de brique bien faits ne pèsent guère ; des charpentes, si larges qu’elles soient, n’exercent qu’une pression assez faible. Mais quand à l’art de la construction pratiquée par les Romains, on tomba dans une grossière imitation de cet art, on dut substituer à des murs minces, bien liaisonnés, garnis de mortier excellent, revêtus d’enduits indestructibles ou bâtis de pierres d’appareil posées à joints vifs, des murs de moellons smillés, mal liaisonnés, remplis de mauvais mortier ; dès lors il fallait nécessairement donner à ces murs une plus forte épaisseur, partant un poids plus considérable, aux colonnes ou piliers une plus large section. D’ailleurs les constructeurs romans, pendant la période carlovingienne, ne pouvaient ni extraire ni tailler des colonnes de marbre, de granit ou de pierre dure monolithes ; ils composaient celles-ci par assises de pierres basses et même quelquefois de moellons. Les piliers renforcés ne résistaient pas toujours aux charges qu’on leur imposait, ils se gerçaient, se lézardaient ; on en vint à augmenter démesurément leur force pour éviter ces accidents, on adopta les sections rectangulaires : leurs assises étaient ainsi plus faciles à poser et plus résistantes ; souvent on leur donna une épaisseur plus forte que celle des murs dont ils avaient à supporter la charge.

Beaucoup de monuments des Xe et XIe siècles ont conservé des piliers dans la construction desquels on observe les tâtonnements, les essais des constructeurs, rarement satisfaits du résultat obtenu ; car ces piliers étaient non-seulement disgracieux, mal reliés aux parties supérieures, mais encore ils prenaient une place considérable, encombraient les intérieurs et gênaient la circulation. Aussi n’est-il pas rare alors de voir dans un même édifice des piliers bâtis en même temps affectant des formes différentes, comme si les architectes dussent les essayer toutes, dans l’impossibilité où ils se trouvaient d’en trouver une qui pût les contenter. Pendant le XIe siècle nous voyons employer simultanément les piliers à section carrée, carrée avec arêtes abattues, circulaire, lobée, carrée cantonnée de demi-cercles, barlongue, circulaire, entourée d’une série de sections de cercle, etc. ; mais rien n’est arrêté, rien n’est définitif, aucun système ne prévaut.

Dans la petite église de Vignory (Haute-Marne)[1], les murs de la nef sont supportés par une suite de piliers à section barlongue ; puis la dernière travée près du chœur présente des piliers à section circulaire (fig. 1). Au-dessus du pilier à section circulaire A est posé, pour former le faux triforium B, un pilier à section carrée dont les angles sont arrondis[2]. L’architecte, se défiant de la petitesse de ses matériaux, n’a pas osé élever les piles de la nef jusqu’à la hauteur du lambris des combles

  1. Du Xe au XIe siècle.
  2. Voyez la monographie de l’église de Vignory donnée d’après les dessins de M. Bœswilwald (Archiv. des monuments histor. publiées sous les auspices du ministre d’État).