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faces voisines. Il fallait même, pour donner à certaines couleurs, comme le vermillon, tout leur éclat, les semer de touches opposées. Ainsi sur la colonnette couchée en vermillon, on semait des touches bleu clair cernées toujours de noir ; ou sur la colonnette couchée en bleu clair, des touches d’un pourpre vif ; sur celle couchée en bleu intense, des touches pourpre rose. L’or venait aussi, bien entendu, prêter son éclat à ces faisceaux de colonnettes dévorées par la juxtaposition des couleurs translucides, lorsque le bleu entrait pour une grande part dans l’harmonie générale. Les arcatures ou tapisseries disposées au-dessous des fenêtres, moins dévorées par les vitraux et plus près de l’œil, pouvaient reprendre des tons plus doux et plus clairs, et alors les faisceaux de colonnettes passant devant elles se détachaient en vigueur et en éclat. Ce parti était parfaitement compris dans la peinture de la sainte Chapelle haute du palais[1]. En effet, dans le système de peinture adopté pour cet intérieur, toutes les parties qui portent, qui forment l’ossature et les nerfs de l’édifice, se détachent en vigueur et en éclat. Les fonds sont au contraire doux et tenus au second plan.

Les peintres décorateurs du moyen âge, pour circonscrire le rayonnement des vitraux colorés, employaient certains moyens d’un effet sûr. Si les fenêtres possédaient des ébrasements, comme au commencement du XIIIe siècle, par exemple, ceux-ci étaient décorés d’ornements très-vivement accusés par la différence des tons. Ces dessins étaient noirs et blancs, comme celui présenté en A dans la figure 19, ou brun rouge noir et blanc, comme celui tracé en B. Ces couleurs tranchées, atténuées par l’effet de la lumière décomposée passant à travers des vitraux colorés, conservaient assez de vigueur et de netteté pour border les peintures translucides, et prenaient des tons harmonieux par le rayonnement de ces peintures. Si les fenêtres, comme la plupart de celles qui se voient dans les édifices du milieu des XIIIe siècle, se composaient de meneaux formant de légers faisceaux de colonnettes, celles-ci se couvraient de tons très-voisins du noir, ainsi que le brun rouge foncé, le vert bleu très-intense, l’ardoise sombre, le pourpre brun. Ces lignes obscures faisaient un encadrement à la verrière ; mais cependant les vitraux colorés étant toujours bordés d’un mince filet de verre blanc, comme pour les mettre en marge et empêcher la bavure des tons translucides sur l’architecture, le long de ce filet blanc transparent on peignait le solin en vermillon, afin de mieux faire ressortir l’éclat de la ligne lumineuse (voy. Vitrail ).

Indépendamment de la coloration et du système harmonique des tons de la peinture décorative, les artistes des XIIe et XIIIe siècles notamment

  1. Lorsque l’on commença la restauration des peintures de la sainte Chapelle, on n’avait pas découvert le parti de coloration du fond des arcatures sous les fenêtres. On fit de nombreux essais, tous sur une gamme sombre, mais l’harmonie générale était dérangée par celle de ces fonds obscurs. En lavant un mur, du côté de l’entrée, on trouva, un jour, un fragment de la tapisserie claire qui forme le fond de cette arcature ; reproduit immédiatement, l’harmonie générale fut rétablie.